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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/135

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si ton âme n'est point entièrement calme, c'est que tu n'es pas en Campanie. Pourquoi d'ailleurs n'y es-tu pas? Envoies-y ta pensée : tu peux, malgré l'absence, vivre avec tes amis aussi souvent, aussi longtemps que tu le voudras. Et ce plaisir, le plus grand de tous, se goûte alors bien mieux. Car la présence rassasie et blase; et pour s'être un certain temps entretenus et promenés et assis ensemble une fois séparés on ne songe plus aux gens qu'on voyait tout à l'heure. Résignons-nous à l'absence pour cette autre raison qu'il n'est point d'ami qui, même près de nous, ne soit longtemps sans nous. Comptons d'abord les nuits qu'on passe séparément, les occupations qui pour chacun sont différentes, puis les goûts qui font qu'on s'isole, les courses à la campagne, tu verras que c'est peu de chose que le temps enlevé par les voyages. C'est dans le cœur qu'il faut posséder son ami : or le cœur n'est jamais absent; il voit qui il veut, et le voit tous les jours. Sois donc de moitié dans mes études, dans mes soupers, dans me promenades. Nous vivrions trop à l'étroit, si en quoi que ce soit l'espace était fermé à la pensée. Moi je te vois, cher Lucilius, je t'entends même; je suis tellement avec toi, que je doute à chaque lettre que je commence, si ce n'est pas un billet que je t'écris.


LETTRE LVI.

Bruits divers d’un bain public. Le sage peut étudier même au sein du tumulte.

Je veux mourir, si le silence est aussi nécessaire qu’on le croit à qui s’isole pour étudier. Voici mille cris divers qui de toute part retentissent autour de moi : j’habite juste au-dessus d’un bain. Imagine tout ce que le gosier humain peut produite de sons antipathiques à l’oreille : quand des forts du gymnase s’escriment et battent l’air de leurs bras chargés de plomb, qu’ils soient ou qu’ils feignent d’être à bout de forces, je les entends geindre ; et chaque fois que leur souffle longtemps retenu s’échappe, c’est une respiration sifflante et saccadée, du mode le plus aigu. Quand le hasard m’envoie un de