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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/177

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famille, et s’élance au plus épais de la mêlée sans nul souci que de sauver Rome par sa mort du courroux céleste, et convaincu qu’un si beau trépas est digne de son ambition. Doutes-tu donc que ce ne soit une grand félicité de faire une fin mémorable, marquée par quelque œuvre généreuse ?

Dès qu’un homme souffre les tourments avec courage, il fait usage de toutes les vertus. Une seule peut-être est en évidence et frappe le plus les yeux : la patience : mais là est aussi le courage, dont la patience, la puissance de souffrir et la résignation ne sont que des rameaux : là est la prudence, sans laquelle il n’est point de conseil et qui détermine à supporter l’inévitable avec le plus de fermeté possible : là est la constance, que rien ne peut chasser de son poste, qu’aucune violence n’écarte et ne fait départir de ses résolutions : là se trouve réuni l’indivisible cortège des vertus. Tout acte honorable est le fait d’une seule vertu, mais sous l’inspiration commune des autres ; or ce qu’approuvent toutes les vertus, bien qu’une seule semble l’exécuter, est chose désirable.

Eh quoi ! ne verrais-tu de désirable que ce qui vient par les voies de la mollesse et de la volupté, que ce que l’homme salue par de joyeux festons à sa porte ? Il est des voluptés amères, il est des vœux héroïques, que fêtent non point une foule banale de complimenteurs, mais l’hommage d’une vénération religieuse. Ne penses-tu point, par exemple, que Régulus souhaita de retourner à Carthage ? Entre par la pensée dans cette âme si haute ; sépare-toi un moment du vulgaire et de ses préjugés ; vois, aussi grande que tu dois la voir, l’image de cette vertu si belle et si magnifique qui veut, au lieu d’encens et de guirlandes, les sueurs, le sang de ses fidèles. Considère M. Caton portant ses mains si pures sur ses entrailles sacrées et déchirant, élargissant ses plaies, iras-tu donc lui dire : « Que n’es-tu plus heureux ? Je le voudrais comme toi, je souffre de ton supplice ; plutôt que : « Je te félicite de ce que tu fais. » Ceci me rappelle notre Démétrius qui compare une vie toute tranquille et sans nulle agression de la Fortune à une mer morte. Ne rien avoir qui te réveille, qui te mette au défi, dont l’annonce ou le choc subit te force d’éprouver la fermeté de ton âme, mais croupir dans un repos exempt de toute secousse, ce n’est point tranquillité, c’est bonace. Attalus le stoïcien disait souvent : « J’aime mieux que la Fortune me tienne dans ses camps qu’à sa cour49. Je subis la torture mais avec courage, tout va bien ; je péris, mais avec courage, tout va bien. » Entends Épicure te dire :