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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/181

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puis c’est la continuité des remèdes qui les rend surtout efficaces ; n’interromps point ce calme et cet oubli de ta vie antérieure. Laisse à tes yeux le temps de désapprendre, et à tes oreilles de se faire au langage de la raison. Dans chacune de tes excursions, ne fût-ce qu’en passant, quelque objet propre à réveiller tes passions viendra t’assaillir. L’homme qui s’efforcera d’arracher l’amour de son cœur évitera tout ce qui rappellerait la personne aimée ; car rien n’est plus sujet que l’amour aux recrudescences ; de même pour bannir tout regret des choses qui enflammèrent nos désirs on détournera ses yeux et ses oreilles de ce qu’on aura quitté. La passion est prompte à la révolte ; n’importe où elle se tourne, quelque chose se présente qui intéresse ses préoccupations. Point de mauvais penchant qui n’ait à offrir son appât. L’avarice promet de l’argent ; la mollesse, mille voluptés diverses ; l’ambition, la pourpre et les applaudissements et par suite la puissance et tout ce que peut la puissance. Chaque vice te sollicite par un salaire : la retraite veut des sacrifices gratuits. Un siècle entier suffirait à peine pour que des vices enhardis par une longue licence pussent se réduire et accepter le joug ; que sera-ce si le court espace qui nous reste est morcelé par des lacunes ? Pour amener une œuvre quelconque à la perfection il faut la vigilance et l’attention les plus soutenues. Si tu me veux croire, médite bien ces vérités : exerce-toi, soit à bien accueillir la mort, soit à la prévenir, si la raison t’y engage. Il n’importe qu’elle vienne à nous, ou que nous allions à elle. Persuade-toi de la fausseté du mot que répètent tous les ignorants : Heureux qui meurt de sa belle mort ! Et puis tu peux te dire : nul ne meurt qu’à son jour. Tu ne perds rien de ta part de temps : qu’abandonnes-tu ? Ce qui n’est pas à toi.


LETTRE LXX.

Du suicide. Quand peut-on y recourir ? Exemples mémorables.

Après un long intervalle, j’ai revu ton cher Pompéï ; je me suis retrouvé en présence de ma jeunesse. Tout ce que j’y avais fait alors, il me semblait que je le pouvais recommencer, que