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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/218

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LETTRE LXXVII.

La flotte d’Alexandrie. Mort volontaire de Marcellus. Juger d’une vie par son dénouement.

Aujourd’hui, à l’improviste, nous avons vu paraître les navires d’Alexandrie[1], qu’on dépêche toujours en avant pour annoncer la flotte qui doit les suivre. On les nomme tabellaires. Leur vue est une fête pour la Campanie : la population de Pouzzole est toute sur les jetées et reconnaît à la forme des voiles, parmi une foule d’autres navires, les Alexandrins : car ils ont seuls le droit d’arborer la voile de perroquet, le siparum, dont les autres ne font usage qu’en pleine mer. Rien en effet ne facilite la course comme les hautes voiles : c’est de là que le bâtiment reçoit sa plus forte impulsion. Aussi, quand le vent augmente et devient plus grand qu’il ne faut, on baisse l’antenne : le souffle a moins de force quand il donne par le bas. Lorsque les vaisseaux sont dans les eaux de Caprée et de l’orageux promontoire

D’où Pallas voit au loin les flots se balancer,

la règle est qu’ils se contentent de la grande voile ; ceux d’Alexandrie ont seuls le siparum pour insigne. Tandis que de divers points tout le monde courait au rivage, je me suis senti vraiment heureux de ma paresse. Au moment de recevoir des lettres de mes correspondants, je ne me suis point hâté de savoir en quel état se trouvaient mes affaires[2], quelles nouvelles m’arrivaient. Depuis longtemps pertes et gains me sont étrangers. Je devrais prendre ainsi les choses, quand même je ne serais pas vieux, à plus forte raison dans un âge où, si peu que je posséderais, il me resterait plus de provisions que de chemin à faire, surtout quand celui où nous sommes entrés n’exige pas qu’on aille jusqu’au bout. Un voyage

  1. Qui transportaient d'Égypte à Rome le blé nécessaire à la subsistance du peuple.
  2. Ceci nous apprend que Sénèque avait des terres ou de l'argent placé en Égypte, où son oncle (Voir Consolation à Helvia, XVII) avait été préfet.