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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/286

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LETTRE LXXXIX.

Division de la philosophie. Du luxe et de l’avarice.

Tu demandes une chose utile, nécessaire même à qui désire arriver vite à la sagesse : tu veux que je divise la philosophie, et que je décompose ce vaste corps en plusieurs membres. En effet la connaissance des parties nous amène plus facilement à celle du tout. Et plût au ciel, tout comme la face de l’univers se développe à nos regards, que la philosophie pût nous apparaître tout entière, spectacle beau comme l’univers. Certes elle ravirait à elle l’admiration du genre humain et lui ferait quitter tout ce qui lui semble grand aujourd’hui, ignorant qu’il est de la vraie grandeur. Mais ce bonheur n’étant point fait pour nous, force nous est d’observer ici, de la même façon que nous contemplons les secrets de la nature. L’âme du sage, il est vrai, embrasse l’universalité de ce grand tout : son œil le parcourt aussi rapidement que fait le nôtre la voûte céleste ; quant à nous, qui avons à percer tant d’épais nuages et dont la vue s’arrête à un horizon si prochain, il est plus facile de nous exposer les détails, puisque l’ensemble nous échappe encore.

Je vais donc, comme tu l’exiges, distribuer la philosophie par divisions, non par lambeaux : car c’est la division, non le morcellement qui est utile, et il est aussi difficile de saisir le trop grand que le trop petit. Le peuple se divise en tribus, l’armée en centuries. Ce qui s’élève à de hautes proportions s’étudie mieux dans le classement de ses parties, lesquelles, ai-je dit, ne doivent être ni innombrables ni imperceptibles. Car c’est un abus de diviser à l’excès comme de ne point diviser du tout ! c’est l’image de la confusion qu’un fractionnement qui réduit la chose en poussière.

Et d’abord énonçons, pour te satisfaire, en quoi la sagesse diffère de la philosophie. La sagesse est pour l’âme humaine la perfection dans le bien ; la philosophie, c’est l’amour et la poursuite de cette perfection. La première montre le but où la seconde est parvenue. Pourquoi l’appelle-t-on philosophie ? L’é-