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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/292

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plus riches. Car on cessa de posséder toutes choses, dès qu’on voulut posséder en propre28.

Mais les premiers mortels et les fils des premiers mortels suivaient ingénument la nature : ils la prenaient pour guide et pour loi, en se confiant à l’autorité du meilleur d’entre eux. Car il est dans la nature que ce qui vaut le moins soit soumis à ce qui vaut le mieux. Les animaux privés de la parole ont pour chef le plus grand ou le plus fort de leur bande. Le taureau qui marche en tête du troupeau n’est point de race dégénérée : non, c’est celui qui par sa taille et ses muscles l’emporte sur ses mâles rivaux ; l’éléphant le plus haut de stature conduit ceux de son espèce : chez les hommes le plus grand c’est le plus vertueux. Aussi était-ce alors ce qui faisait choisir les chefs ; et la félicité des peuples était la plus grande possible, l’autorité ne se donnant qu’à la vertu. Car il peut tout ce qu’il veut, celui qui ne croit pouvoir que ce qu’il doit29.

Dans ce siècle appelé l’âge d’or, l’empire était donc aux sages, comme le pense Posidonius. Ils arrêtaient la violence et protégeaient le faible contre le fort ; ils exhortaient et dissuadaient, ils signalaient l’utile et le nuisible. Leur prudence pourvoyait à ce que rien ne manquât à leurs peuples : leur valeur écartait les périls, leur bienfaisance rendait la société prospère et brillante. Commander était une charge, non un droit. Jamais on n’essayait toute la force du pouvoir contre des hommes d’où le pouvoir émanait, comme aussi nul n’avait ou l’intention ou le motif de nuire. Un bon gouvernement trouvait une prompte obéissance ; et un roi ne pouvait faire à son peuple indocile une plus grande menace que celle d’abdiquer. Mais lorsque les sourds progrès de la corruption eurent changé en tyrannies les royautés, le besoin des lois se fit sentir ; et ces lois, dans le principe, furent encore établies par les sages. Solon, qui fonda celles d’Athènes sur l’équité, est connu comme l’un des sept sages de son époque ; et si la Grèce eût alors enfanté Lycurgue, ce nombre sacré se fût enrichi d’un huitième génie : on loue encore les lois de Zaleucus et de Charondas. Ce n’est point au forum, ni dans l’école des jurisconsultes, mais dans la retraite silencieuse et révérée de Pythagore, que ceux-ci étudièrent les lois qu’ils devaient transplanter dans la Sicile alors florissante et dans l’Italie grecque.

Jusqu’ici je pense comme Posidonius : mais que la philosophie ait inventé les arts qui sont d’un usage journalier dans la vie, je ne l’accorde pas ; je ne lui décerne pas la gloire des