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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/294

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vrirent les mines de fer et d’airain, quand l’incendie des forêts calcina le sol, et que les veines gisant à sa surface coulèrent liquéfiées. Ces choses-là sont trouvées par les mêmes gens qui les exploitent. Autre problème, qui ne me semble pas aussi difficile qu’à Posidonius : « L’usage du marteau a-t-il précédé celui des tenailles ? » Ces deux objets sont dus à quelque esprit exercé, pénétrant, plutôt que grand et élevé : et ainsi de toutes les recherches qui veulent un corps courbé vers la terre et une âme absorbée par elle. Le sage était de facile entretien. Pourquoi non ? puisque en nos jours même il désire le moins d’attirail possible.

Comment, je te prie, concilies-tu ton admiration pour Diogène avec celle que t’inspire Dédale ? Lequel des deux te semble sage ? L’inventeur de la scie, ou celui qui, voyant un enfant boire de l’eau dans le creux de sa main, brisa aussitôt son écuelle qu’il tira de sa besace, et se reprochant sa sottise, s’écria : « Comment ai-je gardé si longtemps un meuble superflu ? » celui enfin qui fit d’un tonneau son logement et son lit ? De nos jours, dis-moi, est-il plus sage l’homme qui trouva moyen de faire jaillir par de secrets tuyaux30 l’eau safranée à une immense hauteur, de remplir ou vider brusquement de leurs masses d’eau des bras de mer factices, d’adapter aux salles de festin des lambris mobiles qui en renouvellent successivement la face, si bien qu’on change de plafonds autant de fois que de services, est-il plus sage que l’homme qui prouve aux autres comme à lui-même que la nature est loin de nous avoir rien imposé de dur et de difficile ; qu’on peut se loger sans marbrier et sans sculpteur, se vêtir sans avoir commerce au pays des Sères, posséder tout ce qui est nécessaire à nos besoins en se contentant de ce que la terre offre à sa surface ? Si le genre humain voulait écouter cette voix, il saurait qu’il peut aussi bien se passer de cuisiniers que de soldats. Ceux-là furent les vrais sages, ou du moins le plus près de l’être, qui presque sans frais pourvurent à l’entretien du corps. Des soins bien simples procurent le nécessaire ; c’est pour les raffinements qu’on s’épuise de travail. On n’a pas besoin d’artisans si on suit la nature : elle n’a pas voulu nous partager entre tant de choses : en nous donnant des besoins, elle nous donne de quoi les satisfaire. Le froid est insupportable pour l’homme nu. Eh bien ! est-ce que la dépouille des bêtes sauvages et autres ne suffit pas et au delà pour nous garantir ? Des écorces d’arbres ne sont-elles pas le vêtement de la plupart des