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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/35

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pravation, faisons-le dans un bon esprit ; et, en nous livrant au sommeil, disons, satisfaits et joyeux :

J’ai vécu, jusqu’au bout j’ai fourni ma carrière[1].

Si Dieu nous accorde un lendemain, soyons heureux de le recevoir. On jouit pleinement et avec sécurité de soi-même, quand on attend le lendemain sans inquiétude. Qui dit le soir : « J’ai vécu, » peut dire le matin : « Je gagne une journée. »

Mais il est temps de clore ma lettre. « Quoi ! dis-tu, elle m’arrivera sans la moindre aubaine ? » Ne crains rien : elle te portera quelque chose. Quelque chose, ai-je dit ? beaucoup même. Car quoi de plus excellent que ce mot que je lui confie pour te le transmettre : « Il est dur de vivre sous le joug de la nécessité, mais il n’y a nulle nécessité d’y vivre ! » et comment y en aurait-il ? De toutes parts s’ouvrent à la liberté des voies nombreuses, courtes, faciles. Rendons grâce à Dieu : on ne peut retenir personne dans la vie : point de nécessités que l’homme ne puisse fouler aux pieds. « Il est d’Épicure, dis-tu, ce mot-là. Pourquoi donner ce qui n’est pas à toi ? » Toute vérité est mon bien ; et je ne cesserai de t’envoyer de l’Épicure à foison, pour que les gens qui jurent d’après un maître et considèrent non ce qu’on a pu dire, mais qui l’a dit, sachent que les bonnes pensées appartiennent à tous.


LETTRE XIII.

Sur la force d’âme qui convient au sage. – Ne pas trop craindre l’avenir.

Ton courage est grand, je le sais. Avant même de t’être armé de ces préceptes qui nous sauvent, qui triomphent des plus rudes atteintes, tu étais, en face de la Fortune, assez sûr de toi, bien plus sûr encore quand tu en es venu aux mains avec elle et que tu as mesuré tes forces. Et qui peut jamais se fier fermement aux siennes, s’il n’a vu mille difficultés surgir

  1. Énéid., IV, 654