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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/350

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mœurs et autres désordres que chacun reprocha toujours à ses contemporains67. Tout cela tient aux hommes, non aux temps ; aucune époque n’a été pure de fautes. Suis de siècle en siècle l’histoire de la corruption, je rougis de le dire, mais jamais elle n’agit plus à découvert qu’en présence de Caton. Croira-t-on que l’or joua un si grand rôle dans la cause où Clodius était accusé d’adultère ostensiblement commis avec la femme de César en profanant la sainteté d’un de ces sacrifices qui s’offrent pour le salut du peuple, en un lieu où l’aspect seul d’un homme est si sévèrement interdit que jusqu’aux peintures d’animaux mâles y sont voilées ? Eh bien, de l’or fut compté aux juges ; et, chose plus infâme qu’un tel pacte, la jouissance de patriciennes et d’adolescents nobles fut exigée comme supplément de prix. Le crime fut moins révoltant que l’absolution. L’accusé d’adultère se fait distributeur d’adultères et n’est assuré de son salut qu’en rendant ses juges semblables à lui. Voilà ce qui s’est fait dans une cause où, n’y eût-il pas eu d’autre frein, Caton avait porté témoignage. Citons les paroles mêmes de Cicéron, car le fait passe toute croyance : « Il a mandé les juges, il a promis, il a cautionné, il a donné. Bien plus, bons dieux, quelle horreur ! des nuits de femmes qu’ils désignèrent, et de nobles adolescents qu’on dut leur amener, tel a été, pour quelques juges, le pot-de-vin du marché[1]. » Ne disputons pas sur le prix : l’accessoire fut plus monstrueux. Tu veux la femme de cet homme austère ? je te la donne. De ce riche ? je la mettrai dans ton lit. Si je ne te procure pas l’épouse de cet autre, condamne-moi. Cette belle que tu désires, elle viendra ; je te promets une nuit de cette autre, et je ne serai pas long : dans les vingt-quatre heures ma promesse sera tenue.

Distribuer des adultères, c’est faire pis que de les commettre : l’un est pour de nobles dames une injonction méprisante, l’autre un jeu de libertin. Ces juges, si dignes de l’accusé, avaient demandé au sénat une garde, qui n’était nécessaire qu’en cas de condamnation, et l’avaient obtenue, ce qui leur valut ce mot piquant de Catulus, après l’absolution : « Pourquoi nous demander une garde ? Craigniez-vous qu’on ne vous reprît l’or de Clodius ? » Mais ces plaisanteries n’empêchaient pas l’impunité d’un homme adultère avant le jugement, courtier de prostitution pendant qu’on le jugeait, qui, pour échapper à son ar-

  1. Lettres à Atticus, I, XVI.