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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/369

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Eh ! certes de vivre un peu plus. Or quelle vie est-ce qu’une longue agonie ? Il se trouve un homme qui aime mieux sécher dans les tourments, et périr par lambeaux, et distiller sa vie goutte à goutte, que de l’exhaler d’un seul coup ! Il se trouve un homme qui, hissé sur l’infâme gibet, déjà infirme et défiguré, les épaules et la poitrine comprimées par une difformité hideuse, ayant déjà, même avant la croix, mille motifs de mourir, veut prolonger une existence qui prolongera tant de tortures ! Nie maintenant que la nécessité de mourir soit un grand bienfait de la nature ! Et bien des gens sont prêts pour des pactes encore plus infâmes, prêts même à trahir un ami pour quelques jours de vie de plus, à livrer de leur main leurs enfants à la prostitution, pour obtenir de voir cette lumière témoin de tous leurs crimes. Dépouillons-nous de la passion de vivre, et sachons qu’il n’importe à quel moment on souffre ce qu’il faut souffrir tôt ou tard. L’essentiel est une bonne et non une longue vie ; et parfois bien vivre consiste à ne pas vivre longtemps.


LETTRE CII.

Sur l’immortalité de l’âme. Que l’illustration après la mort est un bien.

Comme on désoblige l’homme qu’on arrache aux visions d’un songe agréable, car on lui enlève un plaisir qui, tout illusoire, a pourtant l’effet de la réalité, ta lettre m’a fait le même tort : elle m’a tiré d’une douce méditation où je me laissais aller et qui, si je l’avais pu suivre, m’eût conduit plus avant. Je me complaisais dans le problème de l’immortalité des âmes ; et j’étais même, oui j’étais pour l’affirmative : j’entrais avec confiance dans l’opinion de tant de grands hommes, dont les doctrines si consolantes promettent plus qu’elles ne prouvent85. Je me livrais à leur espoir sublime ; déjà j’éprouvais un dégoût de moi-même et regardais en mépris les restes d’un corps brisé par l’âge, moi pour qui cette immensité du temps, cette possession de tous les siècles allait s’ouvrir, quand tout à coup