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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/371

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des honnêtes gens. Comme en effet la bonne renommée ne vient pas d’une bouche unique, ni la mauvaise de la mésestime d’un seul, ainsi l’illustration n’est pas dans l’approbation d’un seul homme de bien. Il faut l’accord d’un grand nombre d’hommes marquants et considérables pour qu’elle ait lieu. Mais elle est le résultat du jugement de plusieurs, c’est-à-dire de personnes distinctes ; d’où il suit qu’elle n’est pas un bien.

« L’illustration, dit-on encore, est l’éloge donné aux bons par les bons ; l’éloge est un discours ; le discours, une voix qui exprime quelque idée : or la voix, même des gens de bien, n’est pas un bien. Car ce que fait l’honnête homme n’est pas toujours un bien : il applaudit, il siffle ; et ni cette action d’applaudir ni celle de siffler, quand on admirerait et louerait tout de lui, ne s’appellent biens, non plus que sa toux ou ses éternuements. Ce n’est donc pas un bien que l’illustration.

« Enfin dites-nous : ce bien appartient-il à qui donne l’éloge, où à qui le reçoit ? Si vous dites que c’est au premier, votre assertion est aussi ridicule que de prétendre que c’est un bien pour moi qu’un autre soit en bonne santé. Mais louer le mérite est une action honnête : ainsi le bien est à celui qui loue, puisque l’action vient de lui, et non à nous qui sommes loués ; or tel était le fait à éclaircir. »

Répondons sommairement à chaque point. D’abord, y a-t-il bien, quand il y a solution de continuité ? Cela fait encore doute, et les deux partis ont leurs arguments. Ensuite l’illustration n’a pas besoin d’une foule de suffrages ; l’opinion d’un seul homme de bien peut lui suffire ; car l’homme de bien est capable de porter jugement de tous ses pareils. « Quoi ! l’estime d’un seul donnera la bonne renommée, le blâme d’un seul l’infamie ? Et la gloire aussi je la comprends large, étendue au loin, car elle veut le concert d’un grand nombre. » La gloire, la renommée, différent de l’illustration, et pourquoi ? Qu’un seul homme vertueux pense bien de moi, c’est pour moi comme si tous les gens vertueux avaient de moi la même pensée, ce qui aurait lieu si tous me connaissaient. Leur jugement est pareil, identique ; or c’est toujours tenir la même voie que de ne pouvoir se partager. C’est donc comme si tous avaient le même sentiment, puisqu’en avoir un autre leur est impossible. Quant à la gloire, à la renommée, la voix d’un seul ne suffit pas. Si, au cas précité, un seul avis vaut celui de tous, parce que tous, interrogés, n’en auraient qu’un seul ; ici les jugements d’hommes dissemblables sont divers et les impressions variées : tout