Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/400

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sera utile au bon. « De quelle manière ? » dis-tu. Il lui apportera de la joie, il fortifiera sa confiance ; et à la vue du calme dont mutuellement ils jouissent, leur satisfaction croîtra encore. Et les connaissances qu’il lui communiquera ! Car le sage est loin de tout savoir ; et connût-il tout, quelque autre peut imaginer et indiquer des voies plus courtes qui mènent plus aisément tout son labeur à bien. Le sage servira le sage, non par son seul mérite, mais par le mérite de celui dont il se fait l’aide. Sans doute il peut, même livré à lui seul, développer ses ressources, aller de sa propre vitesse ; mais les exhortations n’encouragent pas moins le coureur. « Le sage ne profite pas au sage, mais à lui-même, sache-le. Ôte-lui son énergie propre, il ne fait plus rien. » Tu pourrais de même contester que la douceur soit dans le miel, puisque c’est la personne qui le mange qui doit avoir la langue et le palais appropriés à ce genre de saveur, de façon que le goût lui en soit agréable et non repoussant ; car il est des individus à qui, par l’effet de la maladie, le miel paraît amer. Il faut que nos deux sages soient tels que l’un puisse être utile, et que l’autre offre à son action une matière toute prête.

« Mais, dira-t-on, à une chaleur portée au plus haut degré ajouter encore de la chaleur est superflu ; à qui possède le souverain bien tout surcroît d’utilité n’importe guère. Est-ce que l’agriculteur, fourni de tous ses instruments, en va demander à autrui ? Est-ce que le soldat, armé de toutes pièces pour marcher au combat, désire encore des armes ? Ainsi du sage : il est pour le champ de la vie suffisamment pourvu, suffisamment armé. » À quoi je réponds : les corps mêmes pénétrés d’une extrême chaleur ont besoin d’une chaleur additionnelle pour se maintenir à ce point extrême. « Mais la chaleur se maintient par elle-même. » D’abord il y a peu d’analogie entre tes termes de comparaison. La chaleur est une, l’utilité est diverse. Ensuite la chaleur, pour être chaleur, ne demande pas qu’on y ajoute ; mais le sage ne peut demeurer dans son état de perfection, s’il n’adopte quelques amis qui lui ressemblent, pour faire avec eux échange de vertus. Et ajoute qu’entre elles toutes les vertus sont amies. L’homme est donc utile à son pareil, dont il aime les vertus, et à qui il fournit l’occasion d’aimer en retour les siennes. Ce qui nous ressemble nous charme, surtout les cœurs honnêtes, qui savent nous goûter et se faire goûter de nous. D’ailleurs, nul autre que le sage ne possède l’art d’agir sur l’âme du sage, comme il n’y a que l’homme qui puisse agir