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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/409

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cilius, nous donnons lieu de croire que nous exerçons notre esprit sur des choses vaines, et que nous usons nos loisirs en disputes qui restent sans fruit. Je satisferai ton désir et t’exposerai l’opinion de nos maîtres. Mais ma pensée est autre que la leur, je le proteste. Selon moi, certaines assertions ne conviennent qu’à gens portant chaussure et manteau grecs. Voici donc ce qui a tant ému les anciens sophistes.

Ils tiennent pour constant que l’âme est animal, vu que par elle nous sommes animaux, et que tout ce qui respire a tiré d’elle ce nom ; or, la vertu n’étant autre chose que l’âme modifiée d’une certaine façon, est conséquemment animal. De plus, la vertu agit : agir ne se peut sans mouvement spontané ; si elle a ce mouvement, que l’animal seul peut avoir, elle est animal. « Mais, dit-on, si elle est animal, la vertu possédera la vertu. » Pourquoi ne se posséderait-elle pas elle-même ? le sage fait tout par la vertu ; la vertu tout par elle-même. « Ainsi donc, tous les arts aussi sont des animaux, et encore toutes nos pensées, tout ce qu’embrasse notre esprit. Il s’ensuit que plusieurs milliers d’animaux logent dans l’étroite cavité de notre cœur, et que nous sommes ou que chacun renferme en soi plusieurs animaux. » Tu demandes quelle réponse on fait à cela ? Chacune de ces choses sera animal, et il n’y aura pas plusieurs animaux. Comment ? le voici : mais prête-moi toute la sagacité, toute l’attention de ton esprit. Chaque animal doit avoir une substance à part ; tous ont une âme qui est la même : ils peuvent donc exister comme isolés, non comme plusieurs à la fois. Je suis en même temps animal et homme, sans qu’on puisse dire que je sois deux. Pourquoi ? C’est qu’il devrait pour cela y avoir séparation : c’est que l’un doit être distinct de l’autre pour qu’ils fassent deux. Tout ce qui en un seul est multiple tombe sous une seule nature ; il est un. Mon âme est animal, moi aussi ; cependant nous ne sommes pas deux. Pourquoi ? Parce que mon âme fait partie de moi. On la comptera par elle-même pour quelque chose quand elle subsistera par elle-même ; tant qu’elle sera membre d’un tout, on ne pourra y voir rien de plus. Et la raison, c’est que pour être quelque autre chose, il faut être à soi, comme individu, comme complet, comme absolument soi.

J’ai déjà déclaré que cette opinion n’est pas la mienne. Car, qu’on l’admette, non-seulement les vertus seront animaux, mais encore les vices et les affections opposées, colère, crainte, chagrin, méfiance. Les conséquences iront même au delà : point d’opinion, point de pensée qui ne soit animal, ce qui sous aucun