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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/411

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de justice, et de courage, et de tempérance. » Cela serait possible, si dans le même temps qu’elle est justice, elle n’était pas courage ; si, dans le temps qu’elle est courage, elle n’était pas tempérance. Mais ici toutes les vertus existent simultanément. Comment donc seront-elles chacune autant d’animaux, avec une seule âme, qui ne peut constituer plus d’un animal ? Enfin, aucun animal ne fait partie d’un autre ; or la justice fait partie de l’âme, ce n’est donc pas un animal.

Mais, ce me semble, je perds ma peine à démontrer une chose avouée. Il y a de quoi se dépiter ici, plutôt que matière à discuter. Nul animal n’est pareil à un autre[1]. Considère-les tous : il n’en est point qui n’ait sa couleur propre, sa figure, ses proportions à lui. À tous les traits qui rendent si admirable le génie du céleste ouvrier24, j’ajouterais encore que dans ce nombre infini de créations jamais il ne s’est répété : les choses même qui paraissent semblables, rapprochées, se trouvent différentes. De tant d’espèces de feuilles, pas une qu’il n’ait spécialement caractérisée ; de tant d’animaux, pas un dont la forme[2] soit exactement celle d’un autre : toujours il y a quelque nuance. Il s’est astreint à mettre, dans tout ce qui était autre, et dissemblance et imparité. Toutes les vertus, comme vous dites, sont pareilles ; donc elles ne sont pas animales. Point d’animal qui ne fasse par lui-même quelque chose, or la vertu par elle-même ne fait rien qu’avec l’homme. Tous les animaux sont ou raisonnables comme les hommes, comme les dieux, ou irraisonnables, comme les bêtes sauvages ou domestiques. Mais les vertus certes sont raisonnables : or elles ne sont ni hommes ni dieux ; elles ne sont donc pas animaux. Tout animal raisonnable ne fait rien sans qu’une image quelconque l’y ait excité d’abord, puis le voilà qui se meut, mouvement confirmé ensuite par l’assentiment. Quel est cet assentiment ? le voici. Il faut que je me promène ; ce n’est qu’après m’être dit cela et avoir approuvé mon idée qu’enfin je me promène. Faut-il que je m’asseye ? j’arrive de même à m’asseoir. L’assentiment à de tels actes n’a pas lieu dans la vertu. Car, admettons que la prudence soit un animal, comment se dira-t-elle, avec assentiment : « Il faut que je me promène ? »

  1. Toutes les éditions: Nullum animal alterius pars est, répétition hors de propos de ce qui est quelques lignes plus haut. Les Mss. alteri pars est; ou animalis alteri par est. Il faut donc lire: Nullum animal alteri par est.
  2. Imago Alias similitudo. Lemaire: magnitudo