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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/423

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ces énormes colonnes qu’envoient soit les sables d’Égypte, soit les déserts africains, pour orner quelque portique ou une salle à tenir un peuple de convives43. Nous admirons des murs plaqués de feuilles de marbre, quoique nous sachions quels vils matériaux elles cachent ; nous en imposons à nos yeux. Et revêtir d’or nos lambris, qu’est-ce autre chose que nous délecter d’un mensonge ? Car nous n’ignorons pas que cet or recouvre un bois grossier. Mais n’y a-t-il que nos murs et nos lambris qu’une mince décoration déguise extérieurement ? Tous ces gens que tu vois s’avancer tête haute n’ont que le vernis du bonheur. Examine bien, et sous cette légère écorce de dignité44 tu sauras combien il se loge de misères. Depuis que cette même chose qui occupe sur leurs sièges tant de magistrats et de juges, qui fait et les magistrats et les juges45, depuis que l’argent est si fort en honneur, le véritable honneur a perdu tout crédit : l’homme, tour à tour marchand et marchandise, ne s’informe plus du mérite des choses, mais de ce qu’elles se payent : c’est par spéculation qu’il fait le bien, par spéculation qu’il fait le mal. Il suit la vertu tant qu’il en espère quelque aubaine, prêt à passer dans l’autre camp, si le crime promet davantage. Nos parents nous élèvent dans l’admiration de l’or et de l’argent ; la cupidité qu’ils sèment dans nos jeunes cœurs y germe profondément et grandit avec nous. Et la multitude, partagée sur tout le reste, est unanime sur ce seul point, le culte de l’or. C’est l’or qu’elle souhaite aux siens ; quand elle veut sembler reconnaissante aux dieux, c’est l’or, comme la plus excellente des choses humaines, qu’elle leur consacre. Enfin nos mœurs sont déchues à ce point, que la pauvreté est une malédiction et un opprobre, méprisée du riche, en horreur au pauvre. Outre cela viennent les poètes qui dans leurs vers attisent nos passions, qui préconisent les richesses comme l’unique gloire et l’ornement de la vie. Les immortels ne leur semblent pouvoir donner ni posséder rien de meilleur46.

Sur cent colonnes d’or s’élevait radieux
Le palais du soleil[1]


Tu vois à son char

Essieu d’or, timon d’or ; et d’espace en espace
De vifs rayons d’argent qu’un cercle d’or embrasse.

  1. Ovid. Métam., II, 107.