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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/430

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LETTRES DE SÉNÈQUE

les sens me le montrent et ma pensée le croit. C’est un corps que je vois, qui occupe mes yeux et ma pensée. Puis je dis : « Caton se promène ; » ce n’est pas d’un corps que je parle, mais j’énonce quelque chose touchant un corps, ce que les uns appellent un prononcé, les autres un énoncé, d’autres un dire. De même, quand nous nommons la sagesse, nous concevons je ne sais quoi de corporel ; quand nous disons : « Il est sage, » nous parlons d’un corps ; or, il est très-différent de nommer une chose où de parler de cette chose.

Croyons un moment que ce soient deux choses ; car je n’exprime pas encore mon opinion personnelle : qui empêche alors que la seconde ne soit autre que la première et néanmoins soit bonne aussi ? Tu disais tout à l’heure : autre chose est un champ, autre chose avoir un champ. Pourquoi non ? Puisque autre est la nature du possédant, autre celle de l’objet possédé ; ici est la terre, là est l’homme. Mais dans la question présente les deux termes sont de même nature, et celui qui possède la sagesse, et cette sagesse qui est possédée. De plus, dans l’exemple ci-dessus, ce qui est possédé est autre que celui qui possède : ici le même sujet embrasse et la chose et le possesseur. On possède un champ par droit ; la sagesse par caractère ; celui-là peut s’aliéner et se transmettre, celle-ci ne quitte point son maître. Il n’y a donc pas lieu de comparer des choses dissemblables. J’avais commencé à dire que ce pouvaient être deux choses, et néanmoins bonnes toutes deux : tout comme sagesse et sage font deux choses, bonnes l’une et l’autre, tu me l’accordes. De même que rien n’empêche que la sagesse soit un bien, ainsi que l’homme qui la possède ; de même rien n’empêche que la sagesse soit un bien, ainsi que la posséder, c’est-à-dire être sage. Si je veux posséder la sagesse, c’est de manière à être sage. Comment ? N’est-ce pas un bien que cette chose sans laquelle l’autre n’est pas ? C’est vous, n’est-ce pas, qui dites que la sagesse, si on la donnait pour n’en pas user, ne devrait pas être acceptée ? Qu’est-ce qu’user de la sagesse ? C’est être sage ; c’est ce qu’elle a de plus précieux : ôtez-lui cela, elle devient superflue. Si les tortures sont des maux, être torturé est un mal : cela est si vrai, que le premier point sera faux si la conséquence est niable. La sagesse est l’état d’une âme parfaite ; être sage, c’est user de cette âme parfaite. Comment ne serait-ce pas un bien que l’usage d’une chose qui, sans usage, n’est plus un bien ? Je te le demande, la sagesse est-elle désirable ? Tu l’avoues. Je te demande ensuite si l’usage de la