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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/435

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N’est-il pas bien doux, dis-moi, quand les tribus sont convoquées, les candidats guindés au haut de leurs tribunes ; que l’un promet telle somme, que l’autre en fait l’authentique dépôt ; qu’un troisième accable de baisers la main de l’homme auquel, une fois nommé, il ne laissera pas toucher la sienne ; que tous attendent dans l’anxiété la voix qui proclame les élus, n’est-il pas bien doux de rester à l’écart, et de regarder ces marchés publics sans acheter ni vendre quoi que ce soit ? Mais combien plus vive est la joie de celui qui voit d’un œil calme non plus l’étroite enceinte où se font des préteurs et des consuls, mais ces comices universels où se postulent soit des honneurs annuels, soit de perpétuels pouvoirs, soit des guerres heureuses, et des triomphes, soit encore des richesses, des mariages, une postérité, la santé pour soi et les siens ! Qu’elle est grande l’âme qui seule ne fait nulle demande, ne courtise personne, et qui dit : « Je n’ai pas affaire à toi, ô Fortune ! Je ne me mets pas à ta merci. Je sais que tes exclusions sont pour les Catons, tes choix pour les Vatinius ; je ne te prie de rien. » Voilà détrôner l’aveugle déesse.

Je puis bien correspondre ainsi avec toi, et exploiter une matière toujours neuve, quand de toutes parts nous voyons s’agiter ces milliers d’ambitieux qui, pour emporter quelque désastreux avantage, courent à travers tant de maux à un nouveau mal, convoitent ce qu’ils vont fuir tout à l’heure, ou du moins dédaigner. Car quel homme eut jamais assez d’un succès dont le désir même lui avait semblé téméraire ? Non que la prospérité soit, autant qu’on se le figure, avide de jouissances : c’est qu’elle en est pauvre ; aussi ne rassasie-t-elle personne. Tu crois tel homme fort élevé, parce que tu rampes loin de lui ; mais ce point où il est parvenu est, ce lui semble, bien bas. Ou je me trompe, ou il cherche à monter encore ; et ce que tu prends pour le plus haut terme n’est à ses yeux qu’un échelon. Tous se perdent par l’ignorance du vrai : ils s’imaginent voler au bonheur, déçus qu’ils sont par de vains bruits ; puis des maux réels, ou le déchet ou le néant de leurs espérances ressortent pour eux d’une possession hérissée d’épines. Presque toujours le lointain nous abuse et nous admirons1 : grandeur est, pour le vulgaire, synonyme de bonheur.

Pour ne point donner dans la même méprise, recherchons « quel est le vrai bien. » On l’a compris diversement : les uns l’ont défini ou décrit d’une manière, les autres d’une autre. Quelques-uns disent : « Le bien, c’est ce qui invite l’esprit et