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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/462

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l’enfance il y a le même intervalle que du terme au début, que du couronnement au principe. À plus forte raison, n’est-il pas dans un mol embryon, doué à peine de quelque consistance. Eh oui ! certes : pas plus qu’il n’était dans la semence même. Quand tu dirais : « Je connais telle vertu à cet arbre, à cette plante, » elle n’est pas dans la pousse qu’on voit seulement poindre et percer la terre. Le blé a son utilité propre, que n’a point encore le brin nourri de lait31, ni le tendre épi qui se dégage de son fourreau, mais bien ce froment qu’a doré et mûri le soleil dans la saison prescrite. Comme toute création n’a ses qualités développées qu’au jour où son accroissement est complet, ainsi l’homme ne possède le bien qui lui est propre que quand la raison est consommée en lui. Et ce bien quel est-il ? Une âme indépendante et droite, qui met tout à ses pieds, rien au-dessus d’elle. Ce bien est si peu pour la première enfance, que l’adolescence ne l’espère même pas, et qu’il est la chimère de la jeunesse. Heureuse même la vieillesse que de longues et sérieuses études y ont pu conduire ! Alors on le possède avec connaissance de cause.

« Selon vous, dira-t-on, il existe un bien virtuel pour l’arbre, un bien pour la plante : l’enfant peut donc avoir aussi le sien. » Le vrai bien ne se trouve ni dans l’arbre, ni dans la brute ; mais l’espèce de bien qui est en eux n’est qualifié tel que par un terme d’emprunt. « Où donc est le bien pour eux ? » Dans ce qui est conforme à leurs natures respectives. Mais le vrai bien n’est en aucune façon donné à la brute : c’est le lot d’une nature meilleure et plus heureuse. Où la raison n’a point place, le bien n’existe pas. Il y a quatre espèces de natures : celle de l’arbre, celle de la brute, celle de l’homme et celle de Dieu. L’homme et Dieu, étant raisonnables, ont la même nature : ils ne différent qu’en ce que l’un ne meurt pas, et que l’autre est mortel : la nature de l’un constitue son bonheur ; l’autre doit conquérir le sien. Les autres natures sont parfaites dans leur genre, non d’une vraie perfection : car la raison leur est étrangère. Il n’y a de vraiment parfait que ce qui l’est d’après les lois universelles de la nature : or, cette nature est raisonnable ; mais des créatures inférieures peuvent avoir une perfection relative. L’être en qui ne peut se trouver le bonheur ne saurait avoir ce qui le produit : le bonheur se compose d’un ensemble de biens ; cet ensemble n’est point chez la brute, donc la brute n’a pas le vrai bien.

La brute perçoit les sensations présentes, se rappelle les sen-