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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/474

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QUESTIONS NATURELLES.

d’eau perméables aux rayons du soleil, et d’autres, plus denses, qu’ils ne peuvent traverser : les premières renvoient la lumière, les autres restent dans l’ombre ; et de leur interposition se forme un arc, dont une partie brille et reçoit la lumière, tandis que l’autre la repousse et couvre de son obscurité les points adjacents. D’autres nient qu’il en soit ainsi. L’ombre de la lumière, disent-ils, pourrait ici passer pour cause unique, si l’arc n’avait que deux couleurs, s’il n’était composé que de lumière et d’ombre.

Mais ses mille couleurs, abusant l’œil séduit.
Mêlent le ton qui cesse à la teinte qui suit :
La nuance n’est plus et semble encor la même ;
Le contraste n’a lieu qu’à chaque point extrême[1].

On y voit un rouge de flamme, du jaune, du bleu, et d’autres teintes si finement nuancées, comme sur la palette du peintre, que, suivant le dire du poète, pour discerner entre elles les couleurs, il faut comparer les premières aux dernières. Car la transition échappe, et l’art de la nature est tellement merveilleux, que des couleurs qui commencent par se confondre, finissent par contraster. Que font donc ici vos deux seuls éléments d’ombre et de lumière pour expliquer des effets sans nombre ? D’autres donnent de ces mêmes effets la raison suivante : dans la région où il pleut, toutes les gouttes sont autant de miroirs, toutes peuvent réfléchir l’image du soleil. Ces images, multipliées à l’infini, se confondent dans leur chute précipitée, et l’arc-en-ciel naît de la multitude confuse de ces images du soleil. Voici sur quoi on base cette conclusion. Exposez au soleil des milliers de bassins, tous renverront l’image de cet astre ; placez une goutte d’eau sur chaque feuille d’un arbre, il y paraîtra autant de soleils qu’il y aura de gouttes, tandis que dans le plus vaste étang on n’en verra qu’un seul. Pourquoi ? Parce que toute surface luisante, circonscrite, si étendues que soient ses limites, n’est qu’un seul miroir. Supposez cet étang immense coupé par des murs en plusieurs bassins, il s’y formera autant d’images du soleil qu’il y aura de bassins. Laissez l’étang dans son entier, il répétera toujours une image unique. Il n’importe que ce soit un pouce d’eau ou un lac ; dès qu’il est circonscrit, c’est un miroir. Ainsi, ces gouttes innombrables, qui se précipitent en pluie, sont autant de miroirs, autant d’images du soleil. L’œil

  1. Ovid. Métam. VI, 65.