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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/49

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et pour ainsi dire un meuble de plus. Ah ! plutôt, si peu que tu possèdes, fais-toi dès maintenant philosophe, car d’où sais-tu si tu n’as pas déjà trop ? Si tu n’as rien, recherche la philosophie avant toute chose. « Mais je manquerai du nécessaire ! » Je dis d’abord non : cela ne saurait être, tant la nature demande peu ; et le sage s’accommode à la nature. Que si les nécessités les plus extrêmes fondent sur lui, il est prêt : il s’élance hors de la vie et cesse d’être à charge à lui-même. N’a-t-il pour sustenter cette vie que d’exiguës et étroites ressources, « Tant mieux, » se dira-t-il, et sans autre souci, sans se mettre en peine que du nécessaire, il payera sa dette à son estomac, couvrira ses épaules ; et en voyant les tracas des riches, et tant de rivaux dans cette course aux richesses, tranquille et satisfait il ne fera qu’en rire, il leur criera : « Pourquoi remettre si tard à jouir de vous-mêmes ? Attendrez-vous les fruits de vos capitaux, les gains de vos spéculations, le testament d’un riche vieillard, quand vous pouvez sur l’heure devenir riches ? La sagesse tient lieu de biens à l’homme : car les lui rendre superflus, c’est les lui donner41. » Ceci s’adresse à d’autres qu’à toi, qui es voisin de l’opulence. Change le siècle, tu auras trop ; et dans tout siècle le nécessaire est le même[1].

Je pourrais clore ici ma lettre, mais je t’ai gâté. Il n’est permis de saluer les rois parthes qu’avec un présent ; toi, l’on ne peut te dire adieu sans payer. Qu’ai-je sur moi ? Empruntons à Épicure : « Que d’hommes pour qui la richesse conquise n’a pas été la fin, mais le changement de leur misère ! » Je n’en suis pas surpris : ce n’est point dans les choses qu’est le mal, c’est dans l’âme. Ce qui lui rendait la pauvreté si lourde fait que les richesses lui pèsent. Comme il est indifférent que l’homme qui souffre soit déposé sur un lit de bois ou sur un lit d’or : n’importe où tu l’as transféré, ses douleurs y passent avec lui ; de même, place un esprit malade dans la richesse ou dans la pauvreté, partout son mal le suit.

  1. Id est omni sæculo quod sat est : test Lemaire. Les Mss. sont altérés ici. Fickert en tirait: idem autem est … Je lis: idem est.