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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/510

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QUESTIONS NATURELLES.

excluent ces cérémonies, et ne voient, dans les vœux qu’on adresse au ciel, que la douce illusion d’un esprit malade. La loi du destin s’exécute selon d’autres voies ; nulle prière ne le touche, il n’est pitié ni recommandation qui le fléchisse. Il maintient irrévocablement son cours ; l’urne s’épanche dans la direction marquée. Comme l’eau rapide des torrents ne revient point sur elle-même, ne s’arrête jamais, parce que les flots qui suivent précipitent les premiers ; ainsi la chaîne des événements obéit à une rotation éternelle, et la première loi du destin c’est de rester fidèle à ses décrets.

XXXVI. Que comprends-tu, en effet, sous ce mot destin ? C’est, selon moi, l’universelle nécessité des choses et des faits, que nulle puissance ne saurait briser. Croire que des sacrifices, que l’immolation d’une brebis blanche le désarment, c’est méconnaître les lois divines. Il n’y a pas jusqu’au sage dont la décision, vous le dites, ne soit immuable ; que sera-ce de Dieu ? Le sage sait ce qui vaut le mieux pour l’instant présent ; mais tout est présent pour la divinité. Néanmoins je veux bien ici plaider la cause de ceux qui estiment que l’on peut conjurer la foudre, et qui ne doutent point que les expiations n’aient quelquefois la vertu d’écarter les périls, ou de les diminuer, ou de les suspendre.

XXXVII. Quant aux conséquences de ces principes, je les suivrai plus tard. Pour le moment, un point commun entre les Étrusques et nous, c’est que nous aussi nous pensons que les vœux sont utiles, sans que le destin perde rien de son action et de sa puissance. Car il est des chances que les dieux immortels ont laissées indécises, en ce sens que pour les rendre heureuses, quelques prières, quelques vœux suffisent. Ces vœux alors ne vont pas à l'encontre du destin, ils entrent dans le destin même. La chose, dit-on, doit ou ne doit pas arriver. Si elle doit arriver, quand même vous ne formeriez point de vœux, elle aura lieu. Si elle ne doit pas arriver, vous auriez beau en former, elle n’aura pas lieu. Faux dilemme ; car voici, entre ces deux termes, un milieu qu’on oublie, savoir, que la chose peut arriver si l’on forme des vœux. Mais, dit-on encore, il est aussi dans la destinée que des vœux soient ou ne soient pas formés.

XXXVIII. Quand je donnerais les mains à ce raisonnement et confesserais que les vœux eux-mêmes sont compris dans l’ordre du destin, il s’ensuivrait que ces vœux sont inévitables. Le destin de tel homme est qu’il sera savant, s’il étudie ; mais ce même destin veut qu’il étudie : donc il étudiera. Un tel sera