Aller au contenu

Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
503
LIVRE II.

sifs4, et enfin consultant les autres dieux, comme incapable de prendre conseil de lui-même ? Croirai-je que la foudre sera propice et pacifique, lancée par Jupiter seul, et funeste, quand c’est l’assemblée des dieux qui l’envoie ? Si tu me demandes mon avis, je ne pense pas que nos ancêtres aient été assez stupides pour supposer Jupiter injuste, ou ; à tout le moins, impuissant. Car de deux choses l’une : en lançant ces traits qui doivent frapper des têtes innocentes, et ne point toucher aux coupables, ou il n’a pas voulu mieux diriger ses coups, ou il n’a pas réussi. Dans quelle vue ont-ils donc émis cette doctrine ? C’était comme frein à l’ignorance, que ces sages mortels ont jugé la crainte nécessaire ; ils voulurent que l’homme redoutât un être supérieur à lui. Il était utile, quand le crime porte si haut son audace, qu’il y eût une force contre laquelle chacun trouvât la sienne impuissante. C’est donc pour effrayer ceux qui ne consentent à s’abstenir du mal que par crainte, qu’ils ont fait planer sur leur tête un Dieu vengeur et toujours armé.

XLIII. Mais ces foudres qu’envoie Jupiter de son seul mouvement, pourquoi peut-on les conjurer, tandis que les seules funestes sont celles qu’ordonne le conseil des dieux délibérant avec lui5 ? Parce que si Jupiter, c’est-à-dire le roi du monde, doit à lui seul faire le bien, il ne doit pas faire le mal sans que l’avis de plusieurs l’ait décidé. Apprenez, qui que vous soyez, puissants de la terre, que ce n’est pas inconsidérément que le ciel lance ses feux ; consultez, pesez les opinions diverses, tempérez la rigueur des sentences6, et n’oubliez pas que, pour frapper légitimement, Jupiter même n’a point assez de son autorité propre.

XLIV. Nos ancêtres n’étaient pas non plus assez simples pour s’imaginer que Jupiter changeât de foudres. C’est une idée qu’un poëte peut se permettre :

Il est un foudre encor, plus léger et plus doux,
Mêlé de moins de flamme et de moins de courroux :
Les dieux l’ont appelé le foudre favorable[1]


Mais la haute sagesse de ces hommes n’est point tombée dans l’erreur qui se persuade que parfois Jupiter s’escrime avec des foudres de légère portée : ils ont voulu avertir ceux qui sont chargés de foudroyer les coupables, que le même châtiment

  1. Ovid., Metam., III, 305.