Aller au contenu

Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
521
LIVRE III.

comme un navire ; qu’à la mobilité d’un tel support sont dues les fluctuations qu’on appelle tremblements de terre. Ce ne sera donc pas merveille qu’il y ait assez d’eau pour entretenir les fleuves, si tout le globe est dans l’eau. Ce système grossier et suranné n’est que risible ; tu ne saurais admettre que l’eau pénètre notre globe par ses interstices, et que la cale est entr’ouverte.

XIV. Les Égyptiens ont reconnu quatre éléments, et dans chacun le mâle et la femelle. L’air est mâle en tant que vent ; femelle en tant que stagnant et nébuleux. L’eau de la mer est mâle ; toutes les autres sont femelles. Le feu mâle c’est celui qui brûle et flamboie ; la partie qui brille inoffensive est la femelle. Les portions résistantes de la terre s’appellent mâles : ce sont les rochers et les pierres ; ils qualifient de terre femelle celle qui se prête à la culture.

XV. Il n’y a qu’une mer, et elle existe depuis l’origine des choses ; elle a ses conduits, qui donnent lieu à ses courants et à son flux. L’eau douce a, comme la mer, d’immenses canaux souterrains qu’aucun fleuve n’épuisera. Le secret de ses ressources nous échappe ; elle ne jette au dehors que son superflu. J’admets quelques-unes de ces assertions ; mais voici ce que je pense en outre. Il me semble que la nature a organisé le globe comme le corps humain, qui a ses veines et ses artères pour contenir, les unes le sang, les autres l’air ; de même la terre a des canaux différents pour l’air et pour l’eau qui circulent en elle. La conformité est si grande entre la masse terrestre et le corps humain, que nos ancêtres même en ont tiré l’expression de veines d’eau. Mais comme le sang n’est pas le seul fluide qui soit en nous, comme il s’y trouve bien d’autres humeurs toutes diverses, les unes essentielles à la vie, les autres viciées, d’autres plus épaisses, telles que dans le crâne, la cervelle ; dans les os, la moelle ; puis les mucosités, la salive, les larmes, et on ne sait quoi de lubrifiant qui aide au jeu des articulations plus prompt par ce moyen et plus souple ; ainsi la terre renferme plusieurs variétés d’humeurs, dont quelques-unes en mûrissant se durcissent. De là tout ce qui est terre métallique, d’où la cupidité tire l’or et l’argent ; de là tous les liquides qui se convertissent en pierre. En certains lieux, la terre détrempée avec l’eau se liquéfie et se change en bitume ou autres substances analogues. Ainsi se forment les eaux selon les lois et l’ordre naturels. Au reste, ces humeurs, comme celles de nos corps, sont sujettes à se vicier : un choc, une secousse quelconque, l’épuisement du sol, le froid, le chaud, en altéreront la nature ;