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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/557

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LIVRE IV.

sez grande, toutefois, pour couvrir l’Égypte. Ce sont des bouches où, lors du sacrifice annuel, les prêtres jettent l’offrande publique, et les gouverneurs des présents en or. Depuis cet endroit, le Nil, visiblement plus fort, s’avance sur un lit profondément creusé, et ne peut s’étendre en largeur, encaissé qu’il est par des montagnes. Mais libre enfin près de Memphis, et s’égarant dans les campagnes, il se divise en plusieurs rivières ; puis par des canaux artificiels, qui dispensent aux riverains telle quantité d’eau qu’ils veulent, il court se répandre sur toute l’Égypte. D’abord disséminé, il ne forme bientôt qu’une vaste nappe semblable à une mer bourbeuse et stagnante : la violence de son cours est paralysée par l’étendue des contrées qu’il couvre ; car il embrasse à droite et à gauche le pays tout entier. Plus le Nil s’élève, plus on compte sur une belle récolte. C’est un calcul qui ne trompe pas l’agriculteur, tant la hauteur du fleuve est l’exacte mesure de la fertilité qu’il crée ! Sur ce sol sablonneux, altéré, il amène et l’eau et l’humus. Comme, en effet, ses flots sont troubles, il en dépose tout le limon aux endroits qui se fendent de sécheresse : tout ce qu’il porte avec soi d’engrais, il en enduit les parties arides, et profite aux campagnes de deux manières : il les arrose en les fumant. Tout ce qu’il ne visite pas demeure stérile et désolé. Une crue excessive est pourtant nuisible. Le Nil a de plus cette vertu merveilleuse que, différent des autres fleuves qui balayent et ravinent le sol, lui, malgré sa masse si supérieure, loin de ronger ni d’enlever quoi que ce soit, il ajoute aux ressources du terrain ; et son moindre bienfait est de le rafraîchir, car le limon qu’il y verse, en désaltérant les sables, leur donne de la cohérence ; et l'Égypte lui doit non-seulement la fertilité de ses terres, mais ses terres mêmes. C’est un spectacle magnifique que le Nil débordé sur les campagnes. La plaine en est couverte, les vallées ont disparu, les villes sortent de l’eau comme des îles. Les habitants du milieu des terres ne communiquent plus qu’en bateaux ; et moins elles voient de leur territoire, plus la joie de- populations est grande2. Lors même que le Nil se tient renfermé dans ses rives, il se décharge dans la mer par sept embouchures, dont chacune est une mer ; et il ne laisse pas d’étendre une foule de rameaux sans nom et sur sa droite et sur sa gauche. Il nourrit des monstres qui ne sont ni moins gros ni moins redoutables que ceux de la mer. On peut juger de sa grandeur par ce fait, que d’énormes animaux trouvent dans son sein une pâture et un par-