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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/562

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QUESTIONS NATURELLES.

Ou, comme a dit un autre poëte :

Goutte à goutte en tombant l’eau creuse enfin la pierre[1]


Et ce creux est sphérique. D’où l’on voit que l’eau qui le produit l’est aussi, et se taille une place selon sa forme et sa figure. Au reste, il se peut, quand les grêlons ne seraient pas tels, que dans leur chute ils s’arrondissent, et que, précipités à travers tant de couches d’un air condensé, le frottement agisse sur tous et les façonne en boules. Cela ne saurait avoir lieu pour la neige ; elle est trop peu ferme, trop dilatée, et ne tombe pas d’une grande hauteur, mais se forme non loin de la terre. Elle ne traverse pas dans les airs un long intervalle ; elle se détache d’un point très rapproché. Mais pourquoi ne prendrais-je pas la même liberté qu’Anaxagore ? car c’est entre philosophes surtout qu’il doit y avoir égalité de droits. La grêle n’est que de la glace suspendue ; la neige est une congélation flottante parmi les frimas. Nous l’avons déjà dit : entre l’eau et la rosée il y a la même différence qu’entre le frimas et le glaçon, comme entre la neige et la grêle.

IV. Le problème ainsi résolu, je pourrais me croire quitte ; mais je te ferai bonne mesure ; et, puisque j’ai commencé à t’ennuyer, je ne veux taire aucune des difficultés de la matière. Or on se demande pourquoi, en hiver, il neige et ne grêle pas ; et pourquoi, au printemps, les grands froids déjà passés, il tombe de la grêle. Car, au risque de me laisser tromper à ton dam, la vérité me persuade aisément, moi crédule, qui vais jusqu’à me prêter à ces légers mensonges, assez forts pour fermer la bouche, pas assez pour crever les yeux. En hiver l’air est pris par le froid, et dès lors ne tourne pas encore en eau, mais en neige, comme se rapprochant plus de ce dernier état. Avec le printemps, l’air commence à se dilater davantage ; et l’atmosphère, plus chaude, produit de plus grosses gouttes. C’est pourquoi, comme dit notre Virgile :

…Quand du printemps sur nous fondent les pluies[2],


la transmutation de l’air est plus active, car il se dégage et se détend de toutes parts : la saison même l’y aide. Aussi les pluies sont-elles alors plus fortes et plus abondantes que continues. Celles de l’hiver sont plus lentes et plus menues ; ainsi

  1. Lucrèce, I, 324.
  2. Géorgiq, I, 343.