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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/588

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QUESTIONS NATURELLES.

les esprits, les nations entières, quand le soleil, ou même la lune, dont les éclipses sont plus fréquentes, nous dérobent tout ou partie de leur disque ? C’est pis encore lorsque des flammes traversent obliquement le ciel ; lorsqu’on voit une partie de l’atmosphère en feu, ou des astres chevelus, ou plusieurs soleils à la fois, ou des étoiles en plein jour, ou des feux soudains qui volent dans l’espace avec une longue traînée de lumière. On tremble alors et l’on s’étonne ; et quoique cette crainte vienne d’ignorance, on dédaigne de s’instruire pour ne plus craindre. Combien il vaudrait mieux s’enquérir des causes, et porter sur ce point toutes les forces de son attention. Il n’est rien à quoi l’esprit puisse, je ne dis pas se prêter, mais se dévouer plus dignement.

IV. Cherchons donc quelle cause agite la terre5 jusqu’en ses fondements et met en branle une si pesante masse ; quelle est cette force, plus puissante que le globe, qui en fait crouler les immenses supports ; pourquoi la terre tantôt tremble, tantôt, n’ayant plus de lien, s’affaisse, tantôt se disjoint et se morcelle ; pourquoi, après un éboulement, elle reste longtemps entr’ouverte, ou se rapproche tout de suite ; pourquoi elle engloutit des fleuves renommés pour leur grandeur, ou en fait jaillir de nouveaux ; pourquoi elle ouvre de nouvelles sources d’eaux chaudes, ou en refroidit d’anciennes ; pourquoi des feux sont vomis des montagnes ou des rochers par des cratères jusque-là inconnus ; tandis que des volcans fameux pendant des siècles viennent à s’éteindre. Elle opère des prodiges sans nombre, change la face des lieux, déplace des montagnes, exhausse des plaines, des vallées, forme des collines, fait surgir du fond des mers de nouvelles îles. Les causes de ces révolutions méritent bien d’être approfondies. « Mais quel sera le prix de ma peine ? » Le plus grand de tous, la connaissance de la nature. Ce que ces sortes de recherches ont de plus beau, outre qu’à mille égards elles serviront l’avenir, c’est que la magnificence même du sujet captive l’homme, c’est qu’il y porte non l’esprit de lucre, mais un culte d’admiration. Commençons donc l’étude de ces mystères auxquels il m’est si doux d’être initié, que, bien qu’ayant déjà publié dans ma jeunesse un livre sur les tremblements de terre, j’ai voulu m’essayer encore une fois, et voir si l’âge m’a fait gagner en science ou du moins en sagacité6.

V. La cause qui fait trembler la terre est due, selon les uns, à l’eau ; selon d’autres, au feu ; à la terre elle-même, disent