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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/84

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LETTRES DE SÉNÈQUE

même, si avec ses forces physiques ne baisserait pas sa vigueur d’âme ; mais elle croissait visiblement, tout comme l’allégresse du coureur qui touche au septième stade et à la palme. Il disait, fidèle aux dogmes d’Épicure : « D’abord, j’ai l’espoir que le dernier soupir n’a rien de douloureux ; sinon, le mal est du moins un peu allégé par sa brièveté même : car point de longue douleur qui soit grande. Et puis je me représenterai, dans cette séparation même de l’âme et du corps, que si elle n’a pas lieu sans souffrance, après celle-là nulle autre douleur n’est possible. Ce dont je ne doute pas, au reste, c’est que l’âme du vieillard est sur le bord de ses lèvres, et qu’il ne lui faut pas grand effort pour s’arracher de sa prison. Le feu qui s’est pris à une matière solide ne peut être éteint que par l’eau et quelquefois par l’écroulement de ce qu’il dévore ; celui qui n’a plus d’aliments tombe de lui-même. »

C’est avec charme, Lucilius, que j’écoute ces paroles, non comme nouvelles, mais comme me mettant en présence de la crise réelle. – Quoi ! n’ai-je donc pas été témoin d’une foule de trépas volontaires ? – Oui, je l’ai été ; mais il a bien plus d’autorité sur moi l’homme qui se présente à la mort sans haine de la vie, l’homme qui l’accueille sans l’aller chercher. « Si nous la ressentons comme un tourment, disait-il, c’est notre faute : nous prenons l’alarme dès que nous la croyons proche de nous. Eh ! de qui n’est-elle pas proche ? Partout et toujours elle est là. Considérons donc, poursuivait-il, alors qu’une cause de mort quelconque semble venir à nous, combien d’autres sont plus voisines que nous ne craignons pas ! » Un homme était menacé de la mort par son ennemi : une indigestion la prévint. Si nous voulons démêler les motifs de nos frayeurs, nous les trouverons tout autres qu’ils ne semblent. Ce n’est pas la mort que l’on craint, c’est l’idée qu’on s’en fait ; car, par rapport à elle, nous sommes toujours à même distance, Oui, si elle est à craindre, elle l’est à chaque instant, car quel instant est privilégié contre elle ?

Mais je dois appréhender que de si longues lettres ne te semblent plus haïssables que la mort : c’est pourquoi je finis. Toi seulement, songe toujours à cette dernière heure pour ne la craindre jamais.