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Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/151

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NOTES D’UNE FRONDEUSE

lettre qu’on me pardonnera de ne pas citer, même si elle est curieuse, psychologiquement, et intéressante…

Mais voilà que j’aperçois, en haut de la stèle, ce modeste envoi d’une vivante à une morte… et les larmes me sautent aux yeux. Je sais gré à celui qui fut si peu de temps le survivant de l’avoir placée ainsi, ma couronne, loin des chocs, plus près du ciel ! Évidemment, c’est du « sentiment », tout ça ! Que les sceptiques haussent les épaules ! Je sens bien que mon émotion n’est que la traduction de l’émotion commune. Je ne suis pas un diapason, moi, et n’ai pas la prétention de donner le la ; je suis une pauvre girouette que le vent des faubourgs fait grincer à son gré. Mais — et c’est ma seule fierté — si je pense une chose, c’est que ma « clientèle » la ressent ! Or, ils seraient émus, les simples de cœur, à regarder cet autel d’amour, où un sincère vient de s’immoler.

Ai-je dit que la sépulture, terminant à gauche l’allée centrale, était le point culminant, final, d’une équerre, d’un angle aigu ? Cela a son importance, pour déterminer le point précis où eut lieu le suicide.

Faisant face à la tombe, on voit à droite, un peu en arrière du jardinet, posé à même le gravier, en dehors du périmètre de la concession, un pot d’hortensia haut et large comme un arbuste. Derrière cet hortensia, en recul encore, s’écartant du monument, est un massif de lilas guère plus haut qu’un homme ; un petit cyprès placé juste, en ligne directe, derrière la colonne brisée, ferme presque ce retrait de feuillage. C’est là que le général s’est tué. Son front est venu cogner le soubassement, tandis que le corps s’allongeait doucement comme celui d’un voyageur las, sur le sable, parallèlement au tombeau.

N’est-ce pas qu’il a bien de l’esprit, le journaliste qui