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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/106

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À KOLOMEA.

complètement, mais il n’y a guère de doute qu’ils ne signifient quelque chose comme « Allah est grand », ou « aime ton prochain comme toi-même ».

Le lieutenant est célèbre à la ronde pour sa sévérité et sa propreté de soldat. Quand je dis sévérité, je comprends celle qu’il se témoigne à lui-même autant que celle qu’il fait sentir aux autres. Il est capable de poursuivre pendant une heure une mouche tout autour de sa chambre, de peur qu’elle ne souille un des tableaux qui décorent sa muraille et où sont représentés des combats où l’on voit moins de combattants que de fumée, ou de peur qu’elle ne tache quelqu’un de ses livres qu’il relie lui-même, ou ne se pose sur quoi que ce soit. C’est à ce point, raconte-t-on, qu’il força un jour, le pistolet sur la gorge, un jeune comte qui avait eu l’audace d’entrer dans sa chambre avec des bottes sales, à balayer de ses mains aristocratiques la terre qu’il avait, de la principauté allemande, apportée sur le parquet à la semelle de ses souliers.

Peut-être le génie de la mécanique était-il inné chez lui ! Quoi qu’il en soit, il n’y a pour ainsi dire rien au monde qu’il ne soit en état de fabriquer lui-même : chaussures, cadres pour les tableaux, vêtements, tables, chaises, poteries et mille autres ustensiles. Sa passion la plus noble, celle qu’il partage avec le grand empereur Charles-Quint, le solitaire de Saint-Just, c’est la manie des montres ; non seulement il en a toujours plusieurs suspendues au-dessus de son lit d’une simplicité spartiate, non seulement aux côtés de la porte d’entrée sont accrochés plusieurs coucous de la forêt Noire, auxquels il s’évertue à imprimer le même mouvement, mais il ne peut entrer dans une chambre sans que ses yeux n’y cherchent immédiatement la pendule. Il la regarde du