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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/116

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À KOLOMEA.

IV

MOÏSE GOLDFARB

La maison qu’occupait Moïse Goldfarb avec sa famille n’était pas, à proprement parler, un ghetto, c’était plutôt une taverne juive, située à une centaine de pas du village, au bord de la route impériale, au milieu d’un bouquet d’arbres décharnés, avec ses fenêtres borgnes, la traditionnelle flaque de boue devant la porte, et les râteliers sales où les chevaux de tous les charretiers qui passent s’arrêtent pour manger, tout en cinglant les auges à coups de queue. Cependant on peut appeler ghetto tout endroit où vivote un juif pur sang et d’une piété sans mélange, qui élève entre le monde et lui les murailles invisibles, mais insurmontables, du Thora, surtout quand il habite seul au milieu des chrétiens et loin de ses frères, comme Moïse Goldfarb.

Je l’avais entendu surnommer « le buveur de sang », et cela par les gens les plus respectables, dans le temps où je n’étais encore qu’un petit garçon, et où, le fusil sur L’épaule, je parcourais les champs et la grande forêt de la Dombrowna. J’ignore si cela tient au peu de souci qu’ont des principes les enfants, qui obéissent généralement à la première impulsion, ou si je fus attiré par sa mauvaise réputation, comme cela nous arrive si fréquemment plus tard à l’égard de certaines jolies femmes ; le fait est que la kartchma et ses habitants, je n’essayerai