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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/191

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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

Monsieur Wasyl se redressa. Il était fier de la popularité dont il jouissait dans la contrée.

Ses parents, Russes d’origine, comme toutes les familles nobles de la Gallicie orientale, avaient adopté, sous la domination polonaise, le langage et les mœurs de la Pologne, mais ils étaient restés fidèles au rite grec.

Monsieur Wasyl n’avait jamais maltraité ses paysans.

Il considérait les événements de 1848 et le relèvement de la Pologne, comme un mal nécessaire. Lorsque le serf eut proclamé son indépendance et que les Russes établis en Gallicie eurent recouvré une certaine autorité, monsieur Wasyl s’était mis à recevoir des journaux russes, à acheter des livres russes, à commander pour ses filles des manteaux d’une coupe russe. Il parlait français aux Polonais, et intercalait dans ses conversations avec les paysans certaines expressions, telles que « nous qui sommes frères », « nous autres gens de la campagne ». En les saluant, il leur souhaitait « une heureuse santé ».

Je lui répondis que mon intention était de me rendre aux champs, vers les moissonneurs. Puis je le quittai et me dirigeai du côté du village.

Dans le sentier, je rencontrai une alerte paysanne, la tête serrée par un foulard aux couleurs vives, pareil à un turban. Elle passa près de moi, les yeux baissés, murmurant d’une voix émue son « Jésus soit glorifié. » Quelques minutes encore, et j’atteignis le champ de blé, que les bras vigoureux des faucheurs venaient de raser en un clin d’œil. De jeunes gars vêtus seulement de larges pantalons et de chemises de grosse toile, les bras et les pieds nus, le cou hâlé, la tête caché sous un chapeau de paille à larges ailes, travaillaient activement.

Les jeunes filles, avec leurs courts jupons bariolés, leurs chemises bouffantes, leurs mouchoirs jaunes ou