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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/195

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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

forçait à dédommager le seigneur. Si ce même voisin lui tuait un de ses serfs, il ne subissait aucune peine.

» Comment voulez-vous qu’un serf cultive un pays et s’y attache, s’il y est considéré comme un étranger ou un animal ?

» Nous passâmes à l’Autriche. Notre position s’améliora. Le paysan fut considéré comme un homme, mais le terrain demeura en possession de la noblesse qui institua la loi du robot.

» Le grand empereur Joseph — ici le paysan souleva son chapeau et le replaça lentement sur sa tête, — ce bon empereur, dis-je, nous a donné un patent qui indique clairement le nombre des jours de la semaine où le paysan a le droit de travailler pour lui, et le temps qui appartient à son seigneur. Ce patent était parfaitement impartial. Mais les nobles, qui ne reconnaissent pas la justice, s’arrangèrent pour lui donner une signification toute différente. Comment ils s’y prirent ?… Tenez, je vais vous le dire :

» Vos enfants, n’est-il pas vrai, ne vous ont jamais quitté, et la séparation est une dure chose. Eh bien ! supposons qu’un paysan possède 30 arpents, suffisant à son entretien, et qu’il doive à son seigneur quatre jours de robot. Supposons aussi que le paysan ait deux fils. Le gentilhomme vient le trouver et lui dit : « Tu as deux fils vigoureux, on va sûrement te les prendre pour le service militaire. Tu aurais de la peine à t’en séparer ? — Fais une chose. Abandonne à chacun d’eux dix arpents. Vous aurez chacun un tiers de la propriété et vous devrez chacun quatre jours de robot. » Les fils partagèrent ; les petits-enfants repartagèrent, le robot gagna du terrain, et souvent plus tard, si le paysan parvenait à réunir toutes ces parcelles diverses, il se trouvait débiteur de