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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/203

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LA FÊTE DES MOISSONNEURS.

tance, plusieurs agriculteurs gesticulaient vivement, s’entretenant des prochaines élections.

Tout est terminé. La caravane se met en marche, précédée par les musiciens. À leur tête se dandine un gai compère coiffé d’un bonnet noir en peau de mouton, un violon à la main. Vient ensuite un gros fermier, habillé de drap brun, puis le berger de la localité, qui semble cracher dans sa flûte, et un individu hâlé, vêtu d’une chemise et d’un pantalon de toile, qui joue des cymbales. Derrière eux trottine le petit chantre qui s’évertue à racler du violon avec une gravité toute monacale.

Voici maintenant la reine des blés, fière de sa beauté et de son triomphe, escortée de ses deux filles d’honneur. Les paysans la suivent. Les femmes ont sur la tête des foulards d’un rouge criard, tordus en manière de turbans. Les jeunes filles portent de longues nattes, de grosses mauves orangées dans les cheveux, et de larges colliers de corail au cou. Tous sourient de contentement.

L’orchestre continue son gai ramage. Plusieurs centaines de voix entonnent la chanson traditionnelle des moissons, si solennelle, si entraînante, si joyeuse, et à la fois si mélancolique.

Derrière le cortège, dans le chemin creux, des chars de blé roulent pesamment, traînés par de petits chevaux.

C’est ainsi que depuis plusieurs milliers d’années les paysans slaves parcourent la contrée, au temps des moissons. Un pour tous, tous pour un ; voilà leur devise. Unis par le cœur, ils forment une gigantesque corporation.

La bande traverse le village. Quelques traînards se hâtent de la rejoindre.

Une petite vieille se tient devant sa porte, accroupie dans