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À KOLOMEA.

heureux ! Que Dieu la bénisse et vous accorde de beaux revenus ! Que la paix demeure dans votre intérieur !

— Je te remercie, frère. »

Le paysan incline la tête à droite, puis à gauche.

« De longues années, dis-tu, frère, et des jours heureux ! Dieu t’accorde la pareille, et te donne dix fois plus de chance encore, frère. »

Ils se baisent sur la joue droite, sur la joue gauche. Le second vide la coupe.

« À un autre, maintenant ! » Il la remplit et la passe plus loin. Mille souhaits se forment. Celui-ci discute sur l’agriculture, celui-là sur les marchés publics. D’autres parlent politique, s’entretiennent de l’empereur, du tzar, du peuple français. Nul ne pense à endoctriner son interlocuteur ni à faire prévaloir ses propres conclusions ; personne ne se fâche, personne ne crie ; c’est énorme, car nos paysans persistent plus dans leurs opinions que l’Allemand le plus entêté.

Une rumeur soudaine s’élève parmi les danseurs.

Un jeune homme, au regard fier et impérieux, vêtu d’un costume de paysan, et portant sur l’épaule un fusil, vient d’entrer dans leurs rangs.

« Qui est-ce ? demandai-je au baron.

— Il se nomme Dmitro, il seconde notre garde-chasse dans sa charge. Drôle de gars ! mais honnête dans l’âme, et plus dévoué qu’un chien ne pourrait l’être. Appelons-le. Je veux le prier de nous danser la kolomiska. »

M. Lesnowicz se dirigea de son côté.

« Vous ne vous figurez pas l’importance que ce garçon a dans la contrée, me dit la jeune baronne, qui posa subitement sa petite main sur mon épaule. Toutes les femmes en sont folles. Quant à lui, il ne s’en occupe