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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/234

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À KOLOMEA.

pagne, ardents patriotes sans fortune, aux redingotes étroitement boutonnées, aux cols sales, et de quelques juges de village vêtus de peaux de moutons neuves, infectant pendant les conférences, et qui n’éveillaient qu’un enthousiasme modéré du haut de la chaire de leurs églises de bois et dans les assemblées communales.

La masse des électeurs se composait de paysans russes sur lesquels une élégante toilette et des propos spirituels avaient aussi peu de prise que des sermons ou des lectures officielles. Eux aussi exhibaient leurs hommes d’élite. C’étaient ceux qui dans la taverne avaient le dernier mot. Le chantre du village en faisait partie. C’était un homme d’un grand savoir et qui possédait deux rares talents : celui de ne s’enivrer jamais, et celui de ne pas connaître la timidité ; il y avait aussi l’écrivain public, un ancien étudiant, qui depuis son dernier examen de juriste voyait tout en noir et qui, pénétré d’une haine mortelle contre les humains, était devenu le cauchemar des fonctionnaires et des propriétaires, et l’oracle des paysans ; puis le tavernier, véritable mont-de-piété de toute la contrée, génie incarné de la finance ; enfin le percepteur, qui avait beaucoup voyagé, appris à connaître les pays voisins, les mœurs étrangères. Rien qu’à le voir avec son habit blanc déchiré et agrémenté de toute espèce de teintes, avec sa casquette de feutre bleu, on comprenait que ce ne pouvait être qu’un personnage tout à fait exceptionnel.

Madame Téofila démêlait ses intrigues avec la dextérité qu’une ménagère allemande met à démêler un écheveau de fil. Elle attirait dans ses filets de petits fermiers et des juifs de toutes les classes, et assurait ainsi à son