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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/252

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À KOLOMEA.

faction. La plupart des hommes travaillent jusqu’à leur dernier soupir à s’acquérir des biens matériels. Vous, Aldona, qui en êtes abondamment pourvue, vous ne savez qu’en faire, ils vous ennuient, il vous sont à charge. Une fortune que nous n’avons pas amassée nous-mêmes n’est plus une fortune. Je comprends parfaitement cela, et ne vous fais pas un reproche d’être blasée. Une circonstance seule m’étonne. Vous paraissez n’avoir jamais songé qu’il y a dans ce monde d’autres choses à acquérir que la beauté, la richesse ou le bien-être ; et que ces mêmes hommes qui gagnent leur pain à la sueur de leur front ou luttent toute leur vie contre l’adversité ignorent les tortures de l’ennui. Vous n’avez pas à travailler pour vous-même, travaillez pour les autres. Donnez-vous une tâche ; premièrement une petite, ensuite une grande ; créez-vous chaque jour de nouveaux devoirs. Efforcez-vous d’atteindre quelque but, avancez avec courage, et bientôt vous aurez chez vous l’hôte que vous avez toujours désiré en vain voir dans votre demeure somptueuse ou à votre table digne de Lucullus — le contentement.

— Et à quels travaux me condamnez-vous ? demanda Aldona qui, après avoir arpenté un instant la chambre, venait de se jeter sur une chaise longue. Dois-je casser des pierres au bord des chemins, ou mener aux champs les oies du village ?

— Vous avez, comme tous les désœuvrés dont le temps se passe à soupirer aux repas ou devant le miroir, cela de particulier que vous plaisantez dans les moments les plus sérieux de votre vie, répondit Igar, non sans une certaine froideur. Demandez aux dames et aux jeunes filles nobles des provinces russes s’il est possible, quand on demeure parmi le peuple, de manquer d’occupa-