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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/257

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ALDONA.

les vitres, et de lourdes dentelles de glace se découpaient avec un chatoiement de pierres fines le long des poutres enfumées, comme un ornement posé de main d’homme.

Une profonde solitude succéda : le silence des ténèbres, la nature engourdie dans son linceul.

Puis, une taverne à demi enfouie sous la neige. Ici, les violons délirent, les basses tonnent et grondent, la cymbale pleure. Les sons enivrants des instruments semblent convier Aldona à la joie, à l’amour, au plaisir, et, comme elle leur tourne le dos avec mépris, ils la poursuivent longtemps encore de leurs notes railleuses, de ces voix de lutins malfaisants, qui crient comme des enfants ou ricanent comme des damnés.

À la droite voici déjà la forêt. Elle se dessine sur le ciel d’opale avec ses rameaux rabougris et entrelacés. Un massif de vieux chênes forme son avant-poste. Le traîneau les effleure dans sa course ; deux corbeaux en sortent en croassant, et, balayant de leurs ailes noires les branches des arbres, disparaissent aussi vite qu’ils sont venus.

Aldona ne pense pas à tourner bride. Elle continue sa route sans but. Elle excite ses chevaux. Leur galop effréné lui donne la fièvre ; elle dégrafe sa pelisse, et s’expose avec volupté aux caresses âpres de la bise qui souffle à ses oreilles.

Tout à coup ses chevaux s’arrêtent d’eux-mêmes ; ils frémissent… À droite, à gauche, voici venir des paires d’yeux pareils à des feux follets… ils s’approchent, ils reluisent… De nombreux hurlements percent le silence de la nuit… Aldona écoute…

Ce sont les loups !

L’audacieuse amazone ne se décourage pas un instant.