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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/287

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IL REVIENDRA.

le chant strident des cigales. Autour d’elle tourbillonnent des mouches de toutes couleurs, des scarabées, des phalènes, et les pies gourmandes de la forêt, jusqu’à ce que l’ombre se fasse sur la plaine, que tout s’endorme, et que le rossignol soupire sa plainte amoureuse.

Rien ne tire l’étrange femme de son immobilité, ni les bandes d’hirondelles qui planent en criant sur les champs de vaine pâture, ni les mouches qui voltigent dans un dernier rayon de soleil, ni les vautours, ni les grues, ni les cigognes, ni les oies sauvages qui traversent l’air. Elle n’abandonne pas sa place, même quand le givre étoile les joues et la barbe du Christ de sa mousse argentée. Elle reste sous le dais qui le protége, et dont le bord se garnit de pourpre comme un portique d’or. Son regard se perd au loin, sur l’hermine de l’immense tapis de neige. Les corbeaux et les corneilles coassent dans les arbres, le coq de bruyère se promène dans les buissons neigeux ; à quelque distance, un renard surveille l’oiseau perché sur un saule, au bord de quelque ruisseau gelé, et l’on voit étinceler de reflets fauves les yeux du chat qui guette sa proie.

Le temps passe. Tatiana reste fidèle. Tous les soirs, on la trouve au pied de la croix. Rien ne la décourage ni la pluie qui étend sur la vallée son manteau brillant de gouttes limpides, ni le soleil blafard, ni les ruisseaux torrentiels qui coulent dans les ornières, ni les éclairs qui déchirent le ciel, ni même les éclats de tonnerre et ses grondements sonores. Parfois la grêle dépouille les arbres de leurs feuilles, hache les moissons, écrase les fruits ; l’ouragan furieux de la steppe entraîne des nuages aux tons chauds, aux formes variées, de la poussière, des branches, des arbres dans son tourbillon infernal ; il courbe les arbres et ricane dans leurs feuilles avec