Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
À KOLOMEA.

À son arrivée, le curé était seul dans son cabinet d’étude, partagé entre une pipe d’excellent tabac turc et un roman français des plus captivants. Lorsque Anastasie entra, il se leva précipitamment, tout troublé à la vue de sa ravissante visiteuse, dont le pittoresque costume des Petits-Russiens rehaussait encore les charmes et l’incomparable beauté.

Le foulard bleu qui encadrait son visage aux traits classiques, sa bouche charmante, ses yeux noirs et languissants et les bandeaux de cheveux châtain clair qui ondoyaient le long de ses tempes, lui donnaient un faux air de madone, tandis que sa stature haute et majestueuse, ses bottes de maroquin jaune, sa jupe bariolée et descendant jusqu’à la cheville, son corsage de drap rouge, sa chemise ornée de broderies blanches, qui servait moins à voiler sa gorge qu’à en montrer les gracieux contours, et sa subkane flottante de drap bleu pâle, autour de laquelle courait une bordure de peau de mouton plus éclatante que la neige, lui prêtaient un cachet d’une étrange et sauvage originalité.

Trois rangs de gros coraux, entremêlés de sequins brillants entouraient son cou, et complétaient sa parure. Anastasie se tenait à la porte, confuse, arrêtant avec modestie ses grands yeux doux sur le parquet.

Le curé, rentré en possession de son sang-froid, s’avança à sa rencontre, et s’informa de sa santé avec une extrême bienveillance.

Anastasie, conformément aux coutumes des paysans galiciens, s’essuya, bien qu’elle ne pleurât pas, les yeux avec son mouchoir et confia au bon pasteur le sujet de sa peine.

Son mari, qu’elle adorait, et à qui elle avait apporté une grosse dot, la délaissait depuis la naissance de son