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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/300

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À KOLOMEA.

à lui faire un rempart de son corps si le danger devenait pressant.

À sa grande surprise, la porte s’entre-bâilla doucement et se referma de même. Des pas lourds retentirent dans le vestibule, et l’ours se présenta dans la salle.

Anastasie se signa et brandit sa perche d’un air menaçant.

« Comment, Anastasie ! vous ne me reconnaissez pas », modula l’ours d’un ton aimable.

La jeune femme, terrifiée, regarda l’animal sans pouvoir articuler une parole.

« C’est moi ; l’ours, c’est moi ! » murmura une voix bien connue.

C’était l’amoureux curé qui avait imaginé ce déguisement bizarre, pour s’introduire auprès de l’objet de ses désirs.

« Quoi ! c’est vous, dit enfin Anastasie. Pourquoi me causez-vous une pareille frayeur ?

— Pour vous régaler plus tard de bien douces joies.

— Qu’est-ce que cela signifie, remarqua, au grenier, un des fuyards. N’entends-tu pas ? L’ours est dans la chambre, et parle à Anastasie. »

Tout à coup, les lèvres roses de la jolie paysanne s’épanouirent en un sourire. Une idée comique lui vint. L’ours, qui s’était rapproché d’elle, lui débitait mille flatteries.

« Un amour aussi brûlant que le mien ne mérite-t-il pas de récompense, soupira-t-il enfin tout palpitant.

— Sans doute. Patientez un instant encore, et je vous la donnerai, votre récompense. »

Elle quitta la pièce, en verrouilla la porte, et appela les paysans.