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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/67

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UN JOUR ET UNE NUIT DANS LA STEPPE.

Après avoir traversé le village, nous nous enfonçâmes sous l’ombrage transparent d’un bois de bouleaux, puis nous nous engageâmes dans des blés hauts et dorés aux têtes pesamment inclinées. Le char roula ensuite en cahotant sur un vieux pont aux arches tremblantes, et s’enfonça profondément dans un tapis d’herbe grasse et veloutée. Devant nous, maintenant, se déroulait la steppe.

Devant nous, pendant un instant bien court. Deux minutes après nous y étions entrés en plein. Quand le soleil fut haut à l’horizon, la steppe nous entourait de toutes parts.

Nous ne rencontrâmes d’abord sur notre route que de longues files d’épaisses meules de foin, un paysan en train d’aiguiser sa faux, ou quelque jeune paysanne, la tête serrée dans un mouchoir rouge, occupée à cueillir des plantes, et plongeant dans les hautes herbes, pareille à un pavot gigantesque.

Par instants, quand les brouillards se levaient paresseusement, on voyait à l’horizon miroiter la croix grecque d’une église, ou se dresser dans la solitude la silhouette d’un puits ou d’une étable à brebis. De petites collines revêtues d’épais pâturages, ramassées en groupes comme un amas de tombeaux, et prises par le peuple pour des mausolées ou des monuments élevés par les Tartares ou les Cosaques à la suite de quelque horrible carnage, s’estampaient sur le ciel brumeux. De minces bouquets d’arbres étaient parsemés sur de vastes étendues d’herbe. Des alouettes sortaient de la rosée étincelante, dont les perles liquides transformaient la prairie en un immense miroir.

Peu à peu, les collines se rapetissèrent ; les arbres devinrent plus rares. Enfin ils disparurent. Aucun chant