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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/75

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UN JOUR ET UNE NUIT DANS LA STEPPE.

— Pourquoi faire ?

— Pour y porter secours.

— Qu’y a-t-il à sauver dans une baraque de bois et de paille ? Avant notre arrivée, tout sera un monceau de cendres.

— Peu importe. Allons-y !

— Je veux bien y aller, puisque monsieur l’exige, » reprit le cocher.

Et il tourna bride.

Tantôt le sol gémissait sous la pression des roues de notre équipage, tantôt nous glissions sans bruit sur le gazon, moelleux comme du velours. Tout à coup une forme sombre surgit près de nous dans la fougère. Elle nous héla et vint à nous en courant :

« Emmenez-moi, gémit-elle, ayez pitié de moi ! je me suis égarée dans la steppe.

— Et qui es-tu ?

— Une pauvre fille attachée au service d’Éva Kwirinowa.

— Tu viens de la métairie ? mais elle est en feu ! Nous y allons justement porter secours. »

La jeune fille fit, avec la main, un geste qui indiquait clairement que tout secours était inutile.

« Comment l’incendie a-t-il éclaté ?

— Comment l’incendie a éclaté !… répéta l’enfant d’une voix morne et avec étonnement… Eh ! comment aurait-il éclaté si elle n’avait mis le feu elle-même ? Elle en avait bien le droit. Qui donc aurait pu l’en empêcher ? C’était sa volonté…

— À qui ? à Éva Kwirinowa ?

— Oui, Éva Kwirinowa. Que Dieu lui fasse grâce ! »

La colonne de feu disparut. Elle fut remplacée par un panache de fumée, taché de rouge sombre.