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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/96

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À KOLOMEA.

le récit de ce qui s’est passé. Tout le monde a parlé, le baron, la baronne, qui, toute pâle encore, s’enveloppe en frissonnant dans sa pelisse, leurs domestiques, les paysans. Seul le héros est resté silencieux.

Les paysans allaient s’emparer de la seigneurie de Brzosteck. Déjà la grange brûlait et les coups de feu pleuvaient comme la grêle lorsque Abe Nahum Wasserkrug s’était élancé au plus fort de la mêlée. Sa bête, un vieux cheval de uhlan hors de service, s’était, dès les premières décharges, portée en hennissant au-devant du feu. Abe Nahum Wasserkrug, après avoir du haut de sa selle fait le plongeon comme un canard sauvage dans les roseaux et fermé les yeux le plus hermétiquement possible, avait pénétré en brandissant sa dépêche, ni plus ni moins que feu le Cid, jusqu’à la cour du château. Immédiatement les paysans avaient fait place et les Polonais suspendu le combat. L’envoyé du district, en s’adressant aux deux partis, était parvenu à faire accepter la paix. Les Polonais avaient rendu les armes, sur quoi les paysans s’étaient contentés de les faire prisonniers et de les conduire à Tarnow. La voix divine n’avait pas menti. Les enfants d’Israël avaient traversé la mer à pied sec.

De ce jour, Abe Nahum Wasserkrug devint dans la communauté non seulement un grand personnage, mais aussi un homme opulent ; le gouvernement récompensa sa belle action. Le châtelain de Brzosteck, qui lui devait la vie et celle des siens, lui compta mille ducats. Abe Nahum s’acheta une vraie maison pour lui seul. Il offrit à son Jossel deux véritables chevaux et un chariot, et il ajouta héroïquement, lorsque Jossel l’embrassa tendrement pour l’en remercier : « Je t’accorde même la permission de t’en servir. « Et maintenant, si vous de-