Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LA FEMME SÉPARÉE

me disaient des gentillesses, et le vieux Romaschkan, qui, au coup de minuit, m’offrit son bras pour m’accompagner à table, me fit des confidences telles que je fus souvent forcée de rougir.

Un joli major, qui, depuis plusieurs heures déjà, me faisait la cour sans désemparer, prit place à côté de moi. Julian s’assit beaucoup plus loin ; il m’évitait et était très silencieux ce soir-là. On parla d’une comédie nouvelle ; chacun dit son mot, et lui, qui était le seul capable de porter un jugement définitif, lui qui, par une de ses critiques, pouvait anéantir tous ces gens qui babillaient à tort et à travers, les beaux-esprits, lui se tut. Je cherchai à rencontrer son regard, je frappai sur le bord de mon assiette avec mon couteau, car j’étais fière de lui, et j’aurais voulu régaler mon major d’une petite humiliation ; tout fut en vain.

— Dites-nous donc votre avis là-dessus ? criai-je enfin par-dessus la table.

Il haussa les épaules. C’était une de ses habitudes. Tous les invités me regardèrent d’un air surpris.

Lorsque nous nous levâmes de table, mon mari, qui avait beaucoup trop bu, me cria :

— Tu vas te mettre au piano, Anna… Joue-nous… le nocturne de Chopin, — tu sais ce que j’entends ?

Je refusai.