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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/139

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LA FEMME SÉPARÉE

— Je suis triste, répondit-il, parce qu’un éclair inattendu m’a fait voir en vous ; j’ai regardé au fond de votre cœur. Oh ! comme la vie vous a gâtée, pauvre femme, et comme Élisa m’a paru radieuse et chaste dans ce moment-là !

— Je changerai, lui dis-je d’une voix douce, et par vous. Mais, je vous en conjure, ne m’abandonnez pas.

Julian me serra fiévreusement contre sa poitrine.

— Vous avez raison, dis-je, la tête appuyée contre son cœur : Élisa est un ange, comparée à moi ; sa bonté sans bornes, son peu de défiance me font mal souvent. J’ai honte en sa présence, parfois, quand je songe à sa candeur, à ses plans d’avenir. Hélas ! dans quelque temps sa petite famille de papier, ses chevaux, ne seront plus que le souvenir d’un rêve.

— Qu’entendez-vous par là ? répondit Julian, qui ne parut pas me comprendre.

Un frisson glacial me saisit et me courut par tous les membres. Comment ! Julian était honnête au point de n’avoir pas seulement le désir de me posséder ! Et il y renonçait sans peine, sans luttes, se considérant lié pour la vie à Élisa. Une chose encore me serra le cœur et me l’écrasa comme sous un bloc de marbre : je devinai, avec cet instinct particulier qui ne nous trompe jamais, nous autres femmes,