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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/197

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LA FEMME SÉPARÉE

un esprit complètement aigri. Dans sa patrie il eût pu devenir un Herder ou un Lessing. Malheureusement il avait, comme tous les Allemands, cette manie de la grande littérature qui détourne tant de génies du droit chemin et les égare dans les sentiers de la médiocrité.

Il écrivait des livres dont les idées frappaient par leur justesse et leur originalité, et cependant, pas un de ses héros ne vivait : il créait des hommes d’argile, mais il ne savait point leur donner le souffle de vie.

On le payait mal. On le jugeait mal, on le méconnaissait, on le méprisait même. Il se mit à haïr le monde et les hommes, à douter de l’existence, à douter de lui, et avant tout de la littérature allemande. Le dernier poète allemand, disait-il, c’est Goethe. Depuis Werther, notre littérature se corrompt de jour en jour. Croyez-moi, je ressens une sorte de honte pour notre patrie, depuis que j’étudie la littérature slave, depuis que j’ai lu vos poètes et vos romanciers. Car on ne peut pas lire des livres qui ne sont écrits que d’après l’inspiration d’autres livres. Il faut la nature pour pouvoir créer. Nos jeunes auteurs doivent apprendre par la lecture de la Fille du Capitaine, de Pouschkine, comment il est aisé de ressusciter des types et des caractères qui, chez nous, pourraient se mesurer à votre Kolzow.