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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/227

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LA FEMME SÉPARÉE

voulais me faire peintre, mais mon père se moqua de moi, et mon mari, plus tard, me railla également.

C’est ainsi que, peu à peu, je me déconsidérai aux yeux de notre société. Et maintenant que le besoin de travailler se faisait sentir en moi, maintenant que mon honneur en dépendait, maintenant la constance me faisait défaut. Je restais ce que j’avais été toute ma vie : une sultane qui réduit en esclavage tous ceux qui l’entourent. Plus tard, lorsque mes fourrures précieuses (emblème du despotisme) se transformèrent en haillons, eh bien ! je devins une reine de bohémiens, fière de la paresse et de la mendicité à laquelle s’adonne la tribu sauvage.

Mon Dieu, que notre ménage allait gaiement dans notre villa, au bord de la route ! Julian écrivait avec facilité et gagnait beaucoup d’argent, mais les dettes s’accumulaient de jour en jour. Une partie de sa bibliothèque, le ravissant ameublement de notre petite maison, n’étaient pas payés. Mais cela ne nous empêchait pas d’être joyeux. Nous vivions, dès que l’argent était là, à peu près à la manière des jeunes époux du tableau de Hogarth ; nous invitions nos amis, nous leur offrions des thés et des soupers fins, nous riions, nous devisions. Je ne quittais pas de toute la journée mes splendides toilettes de soie et mes précieuses fourrures ; je me montrais chaque soir dans une loge de premier rang, comme une