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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/252

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LA FEMME SÉPARÉE

de suite. Il les renvoyait avec un acompte et ne réglait le tout que lorsqu’il recevait le paiement de quelque travail littéraire. Avec cela, ne satisfaisant pas la plus petite de ses fantaisies, portant des habits râpés, travaillant sans cesse. Pour les autres cependant, et pour moi surtout, Julian avait toujours de l’argent. Quand vint le printemps, il porta ses habits d’hiver au Mont-de-Piété ; et, une fois que ses habits y furent, il y porta son argenterie, ses bijoux, sa montre. De temps en temps aussi il apportait chez moi de vieux habits, une montre ancienne, qu’il tenait de quelque héritage, n’importe quoi, enfin, pourvu que cela fût bon à vendre. Un vieux juif, nommé Chaim Schappsl, venait nous trouver. Ça, c’était le côté drôle de la médaille. Aussitôt que Julian avait quelque chose à vendre, Schappsl était là comme s’il l’eût flairé. Il restait ordinairement un moment en bas, dans la rue, et alignait de longues additions sur son carnet crasseux avec un crayon qu’il portait de temps en temps à sa bouche. Puis, il montait. Il entrait, l’air sinistre, sombre et comme absorbé par de grandes pensées. Peu à peu il s’apprivoisait et devenait tendre, confiant, jusqu’à ce qu’il eût découvert quelque chose à sa convenance. Alors, il reprenait son air profond, examinait l’objet, le tâtait et demandait :

— Combien en voulez-vous ?