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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/254

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LA FEMME SÉPARÉE

se passa dans une affreuse monotonie. Le soir, n’est-ce pas ? nous aurions pu être heureux ensemble. J’aurais dû le récompenser de son dévouement. Il n’en était rien. Je me fâchais lorsque, au lieu de s’agenouiller devant moi, au lieu de me débiter des galanteries, au lieu de me tenir dans ses bras, il me faisait part de ses projets, me racontait le sujet de ses nouvelles et de ses pièces de théâtre. Mais moi je n’en savais que faire. Je ne voulais que de l’amour et du plaisir. Quiconque se nourrit d’ananas et de champagne n’a bientôt plus d’appétit et se plaint de maux de tête. Ah ! grand Dieu ! que de reproches je lui fis alors, et comme je me maudis plus tard !

Maintenant, je ne m’adresse pas de reproches ; je ne lui en adresse pas non plus, à lui. Ce qui nous arriva était inévitable. Vous connaissez, n’est-ce pas ? cette belle parole de Jean-Paul : « Les amants croient tous à une double éternité ; l’homme croit à la sienne d’abord, puis à celle de l’être aimé. » Nous aussi, nous étions persuadés que notre amour serait éternel, bien que nous eussions souvent été sur le point de faire l’expérience de sa fragilité. Nous croyions, pauvres fous, que nous étions plus parfaits que les autres et qu’il nous suffirait de vouloir pour changer à notre gré les lois de la nature, pour arrêter le mouvement de la terre et signer un pacte éternel sur le terrain mouvant de l’amour.