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Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/62

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LA FEMME SÉPARÉE

à celles des déesses grecques et des impératrices romaines. Au théâtre, notre loge était le point de mire de toutes les lorgnettes.

Mon premier bal fut un véritable vertige. Jamais on ne vit pareil triomphe.

Étonnez-vous maintenant si tout cela eut des suites graves !

Bientôt je me considérai, avec ma beauté, comme indispensable dans le monde ; à peu près comme la lumière du soleil ; je fronçais les sourcils si quelqu’un passait près de moi sans me regarder ou avec indifférence. Je n’avais qu’un désir, qu’un rêve : devenir femme ; être libre, noble, riche, éblouir mes rivales par l’éclat de mes toilettes, les anéantir par mon prestige.

Il arriva que ma sœur aînée se fiança.

Vous savez, n’est-ce pas ? ce qui arrive en pareil cas.

Lorsqu’une jeune fille est témoin des rapports de sa sœur avec son fiancé, son cerveau se trouble ; son imagination travaille, elle devient inquiète, triste, elle se croit bientôt amoureuse, elle aussi, et se jette souvent dans les bras du premier venu.

C’est ridicule, mais c’est vrai. Lorsque ma sœur nous rendit visite, immédiatement après son mariage, que devant moi son époux la choya, la caressa et l’embrassa, je me sentis envahie par une